Soignez vos dents. Ce sera plus cher à partir de septembre. Le prochain budget de la Sécurité sociale se prépare 1Après le vote du Plan Juppé, en décembre 1995, introduites par la loi constitutionnelle du 22 février 1996, les lois de financement de la Sécurité sociale sont l’encadrement des dépenses de santé avec l’affirmation d’une étatisation au moins partielle de la Sécurité sociale.

Une première mesure vient d’être annoncée

La direction de la Sécurité sociale souhaiterait baisser les remboursements de soins dentaires dès le mois d’octobre 2023, en réduisant sa prise en charge de 70 à 60 %. Les mutuelles, assurances et institutions de prévoyance devront compenser ce déremboursement, évalué à 500 millions d’euros en année pleine : un demi-milliard !

Les rares échos dans la presse soulignent que les complémentaires santé ne décolèrent pas. Les mutuelles prévoient déjà une augmentation des tarifs.

Un « risque de renoncement aux soins », a estimé Féreuze Aziza, chargée de mission Assurance maladie à France assos santé, invitée sur France info vendredi 16 juin. Bien sûr, « Les personnes les plus précarisées vont être le plus impactées », avec « un risque de renoncement aux soins ». On sait que 30% des personnes interrogées confient avoir déjà renoncé à des soins médicaux par manque d’argent.

Comme nous savons que la richesse produite n’impose en rien ces décisions, voilà donc un des combats de l’automne !
Les choix syndicaux, comme ceux des organisations de la NUPES sont nets. C’est ce dont atteste le programme de la NUPES. Résumons-les un peu…

Étatisation et priorités « libérales » contre la solidarité

Voilà un choix politique en continuité de la contre-réforme des retraites, le libéralisme au profit du système capitaliste et de sa classe dirigeante.
Le retrait progressif de l’Assurance maladie au profit de complémentaires de santé, depuis le début des années 2000, éloigne toujours plus du principe de la solidarité « à chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». C’est ce que rappelle un autre article de ce site : « Retour sur 1995 : faits et enjeux »

Mauvais coups en préparation

Dans la préparation du prochain budget, par « mesure d’économie », d’autres augmentations vont sans doute résulter de « négociations » en cours entre l’Assurance maladie (sous contrôle du gouvernement) et des professions médicales (sagefemmes, infirmiers, augmentation de 1,50 euro des consultations médicales à partir du 1ᵉʳ novembre, avec peut-être en prime une nouvelle convention avec les dentistes).

Officiellement, les princes de la Finance promettent de développer le remboursement d’actes de prévention qui ne sont pas remboursés aujourd’hui…
Une générosité apparente, une hypocrisie de fait pour distinguer les droits minimaux des plus pauvres : augmenter et consolider les différences…

Depuis le début des années 2000, les personnes les plus modestes voient le prix de leur complémentaire santé pris en charge en tout ou partie par l’État, en fonction de leur niveau de revenu. Et, depuis le 1ᵉʳ janvier 2021, les soins et les équipements en audiologie, optique et dentaire sont remboursés à 100%. Faut-il des applaudissements ?

Mis en place lors du 1ᵉʳ quinquennat d’Emmanuel Macron, ce dispositif relève d’un leurre qui joue sur une ambiguïté lexicale, un mensonge. Ce 100% Santé correspond en réalité à un panier de soins a minima conditionné à l’adhésion à un contrat avec une complémentaire santé. Ce remboursement à 100% exclut 4 millions de personnes qui n’ont pas de couverture complémentaire, dont de nombreuses personnes retraitées.

Un remboursement de la Sécurité sociale à 100%

Nous devons comprendre le retrait progressif de l’Assurance maladie au profit des complémentaires santé. Ce changement mérite d’être compris et analysé 2Jean-Claude Barbier, Michaël Zemmour et Bruno Théret., Le Système français de protection sociale, La Découverte, 2021, 128 pages. « Relevant de l’économie sociale, les mutuelles et les institutions de prévoyance pouvaient par le passé organiser des formes de solidarité entre leurs adhérents (cotisations proportionnelles au revenu, couverture uniforme des adhérents…). Mais, l’évolution de la réglementation financière et le droit européen de la concurrence ont conduit le secteur à fortement évoluer depuis les années 2000. Les petits Ocam (Organismes complémentaires d’assurance maladie) ont disparu et les grands organismes se sont regroupés. Pour survivre, ils adoptent les pratiques de leurs concurrents (concurrence par les prix, différenciation des contrats…). Certains groupes réunissent par exemple des mutuelles et des assurances privées, et la solidarité entre assurés s’est affaiblie. ». Les économistes de la santé Jean-Claude Barbier, Michael Zemmour et Bruno Théret détaillent l’évolution des mutuelles dans leur ouvrage.

Ces transformations ont entrainé une superposition du traitement des dépenses de santé par des organismes différents (la Sécurité sociale et les complémentaires) avec pour conséquence une complexité qui nuit à l’accès aux soins et à la bonne gestion des cotisations des assuré·es sociaux·ales.

À cela, il faut ajouter les frais de gestion beaucoup plus élevés que ceux de l’assurance maladie. La chasse aux nouveaux·elles assuré·es a un coût… en marketing. Selon Nicolas Da Silva 3Nicolas Da Silva, économiste de la santé à l’université Sorbonne Paris Nord, au regard du volume de soins couverts, les frais de gestion des complémentaires sont « quatre à six fois supérieurs à ceux de la Sécurité sociale ».

Ce système à deux étages a été historiquement justifié par la liberté de s’assurer. Mais, cet argument a perdu du poids maintenant que la complémentaire est généralisée et quasi obligatoire.

Dans son rapport,la sénatrice Laurence Cohen propose une mesure : le remboursement des dépenses de santé à 100% par l’Assurance maladie. Cela remet en cause le remboursement des soins par les organismes complémentaires et va nécessairement accroitre les besoins en personnels de l’Assurance maladie.

Aussitôt, l’Institut Montaigne – machine à produire des idées pour la droite (think tank !) – a dénoncé « des conséquences sociales importantes, du fait de l’ampleur des pertes d’emploi potentielles » dans son analyse des propositions de Jean-Luc Mélenchon : « Instaurer le 100 % Sécu en remboursant 100 % les soins de santé prescrits et en intégrant les mutuelles dans la Sécurité sociale ». Les tâches des complémentaires santé ne sont pourtant pas destinées à disparaître.

En réalité, il s’agirait d’une réorganisation rétablissant la situation pour les moyens d’accueil et de suivi des Caisses de Sécurité sociale. Les politiques d’austérité ont entrainé la réduction des « frais de gestion » de l’Assurance maladie lors des Contrats d’Objectifs et de Performances successifs, entrainant la fermeture de nombreux points d’accueil des Caisses Primaires d’Assurance maladie et la suppression de postes de conseillers.

Une nouvelle convention collective, négociée avec l’ensemble des représentant·es des personnels, devrait garantir une reprise, par l’Assurance maladie, des 30 000 salarié·es chargé·es, au sein des complémentaires, de la gestion des remboursements.

Les réponses données lors de ce débat au Sénat le montrent : des pratiques de remise sur pied de la Sécurité sociale sont possibles.

La prise en charge à 100% des dépenses de santé par l’Assurance maladie doit permettre aux mutuelles de se réinventer et de se concentrer sur leurs missions de prévention et de promotion de la santé, d’organiser et développer les centres de santé et d’assurer la gestion des établissements médicaux et médicaux-sociaux.

La Sécu, elle est à nous

De réelles mutuelles pourraient – comme celles qui ont résisté au tsunami libéral, par exemple celle de la Mutuelle des Pays de Vaucluse  – reprendre et développer les autres activités pour lesquelles elles ont une expertise. Ce sont la prévoyance, la prévention de risques spécifiques à une population, l’organisation de réseaux de soins, les services de confort et la gestion des établissements médicaux-sociaux.

Au contraire des dires des libéraux qui transforment les mutualités en complémentaires de santé par capitalisation, on aura toujours besoin de la Mutualité tiers payant qui s’inscrit dans la sécurité sociale et de ses forces pour démocratiser l’ensemble du système de santé, promouvoir la santé et le bien-être sous toutes ses formes.

Et, en même temps, même si la logique de la Sécurité sociale est tellement remise en cause que des militants de la gauche radicale ne s’en soucient plus, nous proposons de financer la prise en charge à 100% des dépenses de santé par l’Assurance maladie via le rétablissement des cotisations patronales à la branche maladie.

Prenons une donnée simple. Depuis 2015, le Crédit Impôt Compétitivité Emploi avait exonéré les employeur·euses de 6 points de cotisations sociales pour soi-disant « baisser le coût du travail et améliorer la compétitivité ». Le CICE et sa transformation en réduction pérenne des cotisations maladie pour les employeurs n’ont eu aucun effet sur la création d’emplois en France. Pire, ils ont contribué à aggraver la situation des comptes publics avec une perte de recettes pour l’État et pour la Sécurité sociale.

Rétablir les 6 points de cotisations sociales des employeur·euses à la branche maladie dégagerait 22 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour la Sécurité sociale afin de financer le 100% Assurance maladie. Le financement de la Sécurité sociale par la cotisation, principe fondateur de notre système social, serait ainsi pleinement remis en vigueur.

Cette annonce sur les frais dentaires n’a rien d’une « mesure secondaire » : un demi-milliard » !

Elle montre bien toute l’actualité des grèves et des manifestations en défense de la Santé.

Elle souligne l’actualité du texte adopté les 12, 13 et 14 mai 2023 par la Convergence des services publics à Lure : « Feuille de route des journées de Lure 2023 ».

« Face aux attaques répétées contre la Sécurité Sociale et à la nécessité de répondre aux besoins de santé et de protection sociale, nous appelons à poursuivre la mobilisation sur les retraites […] et à travailler à une mobilisation large en vue du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2024. Nous voulons le retour aux principes fondateurs de la Sécurité Sociale : unicité, solidarité, démocratie, cotisation ».

La poursuite des politiques libérales sera combattue et le rejet de la contre-réforme des retraites reste d’actualité, comme le souligne l’intersyndicale le 15 juin : « Continuons à agir ! » 4Communiqué du 15 juin : « L’expérience des 10 mois passés a démontré que l’unité des organisations syndicales professionnelles et de jeunesses sur des revendications communes permettait de construire le rapport de force. Comme l’intersyndicale l’a fait sur le dossier des retraites en se concentrant sur ce qui la rassemble, elle va travailler, dès maintenant, à dégager des revendications communes sur chacun des sujets suivants : les salaires et les pensions, les conditions de travail, la santé au travail, la démocratie sociale, l’égalité femmes-hommes, l’environnement et la conditionnalité des aides publiques aux entreprises. Sur ces thèmes, nous voulons obtenir des avancées importantes, notamment lors des futures négociations. » .

Dans un tel contexte, discutons donc aussi des voies afin de reconstruire politiquement une gauche pour la solidarité et l’émancipation. Contre les dérives illibérales gouvernementales et les agissements fascistes de la droite-extrême, les enjeux sont assez nets !

 

Le 20 juin 2023
Pierre Cours-Salies

 

Notes
  • 1
    Après le vote du Plan Juppé, en décembre 1995, introduites par la loi constitutionnelle du 22 février 1996, les lois de financement de la Sécurité sociale sont l’encadrement des dépenses de santé avec l’affirmation d’une étatisation au moins partielle de la Sécurité sociale.
  • 2
    Jean-Claude Barbier, Michaël Zemmour et Bruno Théret., Le Système français de protection sociale, La Découverte, 2021, 128 pages. « Relevant de l’économie sociale, les mutuelles et les institutions de prévoyance pouvaient par le passé organiser des formes de solidarité entre leurs adhérents (cotisations proportionnelles au revenu, couverture uniforme des adhérents…). Mais, l’évolution de la réglementation financière et le droit européen de la concurrence ont conduit le secteur à fortement évoluer depuis les années 2000. Les petits Ocam (Organismes complémentaires d’assurance maladie) ont disparu et les grands organismes se sont regroupés. Pour survivre, ils adoptent les pratiques de leurs concurrents (concurrence par les prix, différenciation des contrats…). Certains groupes réunissent par exemple des mutuelles et des assurances privées, et la solidarité entre assurés s’est affaiblie. »
  • 3
    Nicolas Da Silva, économiste de la santé à l’université Sorbonne Paris Nord
  • 4
    Communiqué du 15 juin : « L’expérience des 10 mois passés a démontré que l’unité des organisations syndicales professionnelles et de jeunesses sur des revendications communes permettait de construire le rapport de force. Comme l’intersyndicale l’a fait sur le dossier des retraites en se concentrant sur ce qui la rassemble, elle va travailler, dès maintenant, à dégager des revendications communes sur chacun des sujets suivants : les salaires et les pensions, les conditions de travail, la santé au travail, la démocratie sociale, l’égalité femmes-hommes, l’environnement et la conditionnalité des aides publiques aux entreprises. Sur ces thèmes, nous voulons obtenir des avancées importantes, notamment lors des futures négociations. »