L’avis de la Cour internationale de Justice (CIJ) rendu le 19 juillet 2024 n’a pas assez attiré notre attention. Nous pouvons désormais appuyer nos campagnes et nos demandes sur les constats judiciaires effectués par la Cour. L’article de François Dubuisson, publié par Yaani, revient en détail sur leurs conséquences.

Les conséquences de l’avis de la CIJ relatif à l’occupation du Territoire palestinien

Par François Dubuisson1professeur de droit international à l’université libre de Bruxelles. Publié le 27 juillet 2027 par Yaani.

Le 19 juillet dernier, la Cour internationale de Justice rendait son avis relatif aux « conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ». La CIJ a conclu que l’occupation israélienne est illégale en son principe, qu’elle aboutit à l’annexion de larges portions du territoire palestinien et viole le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. La Cour constate également qu’une série de pratiques et politiques israéliennes enfreignent le droit international, en particulier la colonisation, le déplacement forcé de la population civile palestinienne, les restrictions à la libre circulation, la destruction de maisons, la confiscation de terres, l’exploitation de ressources naturelles palestiniennes… Par ailleurs, Israël est convaincu d’avoir instauré un système de lois et de mesures discriminatoires à l’encontre de la population palestinienne, qui violent l’interdiction de la ségrégation raciale et de l’apartheid. La Cour en déduit qu’Israël doit mettre fin à son occupation « dans les plus brefs délais », cesser sa politique de colonisation et la démanteler, ainsi que réparer tous les dommages causés à la population palestinienne.

Ces conclusions ayant déjà été largement exposées et commentées, j’examinerai ici certaines conséquences plus indirectes que l’avis est susceptible d’avoir, à brève échéance. L’avis a été rendu sur demande de l’Assemblée générale des Nations Unies, et c’est à cette dernière qu’il revient au premier chef de prévoir les moyens de mise en œuvre, par l’adoption d’une résolution. Il faut bien constater que l’avis que la CIJ avait rendu en 2004 à propos de la légalité du Mur construit par Israël en Territoire palestinien a en définitive eu peu d’effet concret sur le terrain, à défaut pour les États d’avoir pris des mesures effectives, à même de faire pression sur Israël. Le sort de l’avis de 2024 est tributaire de la même réalité politique : sa concrétisation dépend de la volonté politique des gouvernements (en particulier occidentaux) à la fois d’assumer pleinement les conclusions de la Cour et d’en tirer toutes les conséquences pratiques. À cet égard, on attendra sans doute peu de choses de la part du Conseil de sécurité de l’ONU, dont la CIJ sollicite l’intervention pour définir « quelles mesures supplémentaires sont requises pour mettre fin à la présence illicite d’Israël », compte tenu du droit de veto que possèdent les États-Unis dans cet organe et de la réaction négative du Département d’État américain à la publication de l’avis.

Néanmoins, au-delà du caractère hasardeux d’une modification radicale du comportement des États alliés d’Israël, une série de constats, de raisonnements, de conclusions juridiques opérées par la Cour tout au long des 83 pages de son avis sont susceptibles d’avoir des conséquences concrètes et assez immédiates.

« Un document de référence incontournable »

Inévitablement, l’avis de la Cour va devenir un document de référence incontournable dans l’appréhension des aspects juridiques du conflit israélo-palestinien, qu’il sera très difficile d’ignorer. De ce point de vue, le fait qu’il ne s’agisse que d’un « avis » et non d’un « arrêt » n’a que peu d’incidence : la Cour statue en droit international, qualifie juridiquement la situation au regard des questions qui lui ont été posées, avec toute l’autorité judiciaire qui lui est attachée. L’avis va donc pouvoir servir d’instrument à la société civile pour exiger des gouvernements un changement de politique. Au gré des constats de violations très graves du droit international effectués dans l’avis et de la mise en avant de la responsabilité de l’ensemble des États pour faire cesser ces violations, l’immobilisme va devenir de plus en plus difficile à justifier.

Le principal changement de perspective engendré par l’avis de la Cour consiste à exiger d’Israël qu’il « mette fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais ». Cela signifie que la fin de l’occupation ne peut être subordonnée à l’issue de négociations – inexistantes actuellement – et donc à l’approbation d’Israël. Comme l’a explicité le juge Salam, président de la Cour, dans une déclaration accompagnant l’avis, « les négociations entre les parties, qui demeurent nécessaires, porteraient alors principalement sur les modalités de mise en œuvre, et non la question du retrait d’Israël ». À cet égard, l’avis coupe court à toute revendication de souveraineté d’Israël sur les territoires palestiniens occupés tels que délimités par les lignes de 1967 : Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est forment pour la Cour une seule « unité territoriale » sur laquelle s’applique de manière exclusive le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.

La Cour estime ainsi « qu’Israël n’a pas droit à la souveraineté sur quelque partie du Territoire palestinien occupé ». Sont de ce fait écartées les prétentions fondées sur des « liens historiques » avec le peuple juif ou sur une lecture – très peu crédible — de la résolution 242 du Conseil de sécurité, qui selon Israël lui permettrait de ne se retirer que d’une partie des territoires, compte tenu de ses besoins de sécurité. La CIJ précise encore que les Accords d’Oslo ne peuvent servir de fondement au maintien par Israël de son occupation, pour raisons sécuritaires. L’ensemble de ces éléments devrait conduire les États réticents à reconnaître « dans les plus brefs délais » l’État de Palestine, sans plus conditionner cette reconnaissance à la tenue de négociations avec Israël. En outre, la Cour a clairement indiqué quelles sont les frontières auxquelles cet État a droit, aucune incertitude à ce sujet ne pouvant fonder un refus de reconnaissance.

[…]

Pour lire la suite de l’article de François Dubuisson…

Pour compléter, vous pouvez lire :

L’interview de Johann Soufi : « La Cij a rendu un avis historique pour la Palestine et le Proche-Orient » publié par La Vie

Les cinq résolutions du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU du 5 avril 2024 : « Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice » ; « Droits de l’enfant : réalisation des droits de l’enfant et protection sociale inclusive » ; « droit du peuple palestinien à l’autodétermination » ; « Les droits de l’homme dans le Golan syrien occupé » ; « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé »

et sur notre site :

 

Notes
  • 1
    professeur de droit international à l’université libre de Bruxelles