La poursuite de la politique en faveur du Capital met droite et extrême droite d’accord. Une échéance sera significative : la décision sur l’assurance chômage. En attendant, la chasse aux chômeurs, aux chômeuses et aux précaires continue. C’est ce que dénonce Étienne Adam ainsi que la dématérialisation des procédures.
Affaires courantes : sus aux précaires
Par Étienne Adam. Le 11 septembre 2024.
Pendant 50 jours, un gouvernement démissionnaire était « chargé d’expédier les affaires courantes ». Mais durant ce temps, les différentes administrations continuaient à agir dans la ligne du gouvernement précédent.
À la veille de la nomination du Premier ministre, Lemaire et Cazenave ont été contraints de livrer des informations budgétaires qui font apparaître leur gestion désastreuse des comptes publics et l’aggravation considérable du déficit.
La politique suivie aurait dû être dénoncée et mise au passif de Macron. A contrario, on constate une injonction à poursuivre la même politique, en l’aggravant.
Barnier, pour sa part, veut se présenter comme un homme d’ouverture, soucieux des services publics et des difficultés des gens. Il n’a pourtant pas eu un mot sur les coupes budgétaires prônées par le duo de nuls de Bercy.
Le consensus avec Macron se fait, de fait, sur la poursuite de la politique en faveur du Capital. La bienveillance de Marine Le Pen à son égard se fonde aussi sur la poursuite d’une telle politique, car Le Pen fait ami-ami avec le patronat.
Une échéance sera significative : la décision sur l’assurance chômage.
Attal a suspendu son décret jusqu’au 31 octobre. Barnier devra donc choisir : rouvrir des négociations ou publier le décret (nouvelles réductions de droits pour les précaires). Le choix sera éclairant sur la future politique.
D’ores et déjà, France travail se prépare. Il prend des mesures administratives contre les chômeu·euses dans la continuité des réformes successives de Pénicaud, Borne et Attal.
France travail à l’avant-garde de la politique Macron
Un article de Médiacités – « France Travail : plus de sous‐traitance et moins de service public » – met en évidence une externalisation accrue de l’accompagnement des demandeurs et demandeuses d’emploi vers des sous-traitants. Ce n’est cependant pas une nouveauté.
Le budget de Pôle Emploi consacré à cette sous-traitance est passé de 250 millions en 2018 à 650 en 2023. Les crédits du ministère du Travail sont en baisse. Les rentrées de cotisations chômage vont baisser. Pourtant, France Travail prévoit entre 700 000 et 900 000 contrats pour un montant de 400 millions.
Il y aurait cependant de quoi embaucher plus de 6 000 conseillers supplémentaires au lieu de remplir les poches de boites privées.
Un rapport de la Cour des comptes a eu beau dénoncer le fait que le service rendu par ces « boites à chômeurs » était moins efficace que le service public. Les boites privées « s’en frottent par avance les mains » dit le syndicat FSU de France Travail.
L’impréparation de l’accompagnement est totale. On nous l’avait cependant vanté dans la loi dite « pour le plein emploi ». Mais, avoir recours à des opérateurs privés est surtout un choix politique contre le service public : piller les budgets publics pour les donner au privé.
De plus, on crée une incitation financière nocive (réduction de 40 à 85 % de la rémunération si le demandeur d’emploi n’est pas « recasé »). Voilà de quoi pousser les boites privées à faire pression sur les chômeur·euses pour qu’ils acceptent un emploi à n’importe quel prix, y compris un emploi précaire. La mécanique « accompagnement-surveillance-sanction » est, elle aussi, privatisée.
Pendant la trêve olympique, la chasse aux chômeur.euses, et aux précaires continue
De nouvelles modalités sont inventées. On envisage de trier les chômeur·euses. Leur durée de prise en charge serait limitée dans le temps alors qu’aujourd’hui, il n’y a pas de limites.
Pour les personnes les plus en difficultés, la prise en charge s’arrêterait au bout de soit 24, soit 12 à 18 mois. Ce serait une nouvelle manière de faire des économies.
Les 2 millions de personnes inscrites depuis 24 mois et plus, que deviennent-elles ?
Seront-elles, de fait, dispensées de recherche d’emploi ou resteront-elles soumises au contrôle et aux sanctions comme toutes les autres ? C’est l’échec annoncé de cette stratégie de « plein emploi » qui sert à justifier toutes les réformes de l’assurance chômage. Dans la novlangue libérale, l’« accompagnement » est le nom donné au contrôle et à la contrainte !
Certes, le contrôle-sanction n’est pas une nouveauté : il a été aggravé au fil des lois et décrets. Les sanctions ont été considérablement durcies et rendues plus faciles à appliquer.
Aujourd’hui, France Travail veut, au nom d’un « gain de productivité », augmenter le nombre des contrôles et en durcir les modalités.
De 520 000 en 2023, le nombre devrait passer à 600 000 en 2025 et 1,5 million en 2027. Le résultat pourrait se traduire par une croissance des radiations. Celles-ci pourraient atteindre l’objectif de presque 300 000 personnes exclues des droits par une décision administrative fondée sur des critères obscurs.
De plus, France Travail prévoit une « rénovation » des modalités. Derrière ce jargon moderniste, se cache la perte d’un droit fondamental : le droit à un débat contradictoire et le droit de se défendre. Même s’il était bien souvent difficile à mettre en œuvre, il permettait toutefois aux demandeur·euses d’emploi de répondre aux accusations, de contester et de monter sa bonne foi.
Désormais, le délai pour présenter sa défense est de 10 jours. À défaut, les agents de France Travail pourront sanctionner un chômeur ou une chômeuse sans l’avoir entendu·e.
Cette recherche de productivité est en quelque sorte l’aveu que le contrôle et les sanctions sont une fonction importante de France Travail qu’il s’agit de rendre la plus efficiente possible.
L’IA contre les chômeur·euses et précaires c’est ChatFT
Dans la recherche de gains de productivité, l’intelligence artificielle sera d’abord utilisée dans la « production de la communication » à destination des demandeurs d’emploi. Ainsi ce seront des machines qui leur écriront. La dématérialisation avait pourtant déjà été dénoncée dans un rapport du défenseur des droits en 2019 : Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics. Les préconisations en ont d’ailleurs été ignorées.
Un collectif d’organisations à l’initiative de Changer de cap a, depuis quelques années, mené un combat contre l’utilisation par la CAF d’algorithmes de recherche des fraudeurs. Il a revendiqué des changements majeurs dans le fonctionnement des CAF « pour remettre l’humain et le droit au cœur de l’action des CAF ». Ce fut l’appel de mai 2023 et les actions qui ont suivi.
Les difficultés à faire respecter le droit sont manifestes une fois que s’est installée la surveillance. Mais, aucune autorité administrative ne devrait fermer les yeux sur les atteintes aux droits fondamentaux révélées par le défenseur des droits et Changer de Cap.
Apparemment les technocrates qui dirigent France Travail l’ignorent et continuent à faire primer leur logique de productivité sur le respect des personnes et du droit.
La Quadrature du net analyse précisément l’utilisation du contrôle algorithmique : « À France Travail, l’essor du contrôle algorithmique »
« Score de suspicion » visant à évaluer l’honnêteté des chômeur·ses, « score d’employabilité » visant à mesurer leur « attractivité », algorithmes de détection des demandeur·euses d’emploi en situation de « perte de confiance », en « besoin de redynamisation » ou encore à « risque de dispersion », etc. France Travail multiplie les expérimentations de profilage algorithmique des personnes sans emploi.
Là encore, on retrouve les mêmes soucis de chasse aux chômeur·euses et de tri par un algorithme de « profilage » ; l’usage de ces outils permettant une gestion de masse.
Ce qui se passe là ne concerne pas que les chômeur·euses, les précaires ou les relégué·es au RSA. Ce sont d’abord des libertés fondamentales qui sont attaquées, des droits supprimés.
Les dispositions prises contre les migrant·es, les étranger·ères, au nom de la sécurité, sont appliquées à n’importe qui, à tout le monde. En particulier, tous ces dispositifs visent à émanciper les administrations du contrôle du juge : c’est là un germe d’illibéralisme qui peut prendre de l’ampleur.
C’est l’ensemble des salarié·es qui est concerné. En augmentant la contrainte sur les chômeurs et précaires, on les oblige à prendre n’importe quel emploi dans n’importe quelles conditions. Outre le fait que cela concerne quasiment un tiers du salariat qui subit ce sous statut, c’est l’ensemble des protections salariales qui sont déstabilisées par cette concurrence contrainte et faussée. Ceci permet de maintenir l’autorité et la domination du Capital sur le travail.
À quel prix pour chacune et chacun ?
Libérer les précaires de la contrainte, c’est commencer à libérer le travail. C’est, pour le moins, permettre de reconstruire un rapport de forces.