Colonialisme, racisme et droits politiques
Notes à l’occasion de la sortie du film, Tirailleurs ((Tirailleurs – L’idée du film est née en 1998 avec la mort du dernier tirailleur sénégalais (Abdoulaye Ndiaye, à l’âge de 104 ans, il avait été enrôlé de force en 1914). Il est mort la veille du jour où il devait recevoir la légion d’honneur promise par le président de la République, Jacques Chirac. Mathieu Vadepied se souvient… ))
« Mais pourquoi nous avait-on promis d’avoir le droit d’être Français quand nous avons été mobilisés pour faire la guerre de 1939-45 ? », demande un survivant africain. Une bonne occasion de revenir sur cette tare colonialiste. Car il s’agit d’un refus, conscient et durable, des gouvernements. C’en est même une caricature.
Pour la toile de fond qui se dessine, mais aussi pour ses origines et leur maintien, un conseil de lecture : Frère d’âme de Denis Diop ((Denis Diop a décrit les promesses faites, avant la guerre de 1914, pour que les colonies amènent des noirs mourir dans les tranchées, Frère d’âme, éd. Seuil, 2018.))
Une toile de fond visible
Le déni des droits pour les « étranger·ères » – surtout celles et ceux issu·es des ex-colonies – est une constante. Au lieu du « droit du sol », – principe de notre démocratie – s’exerce à leur égard une sorte d’ostracisme, une sorte de fatalité qui tiendrait à leur sang. On mesure cette continuité, en consultant le livret de l’Avenir en commun intitulé « Pour une république anti-raciste ». Devant la pression des adhérent·es de la France Insoumise, le programme a pourtant évolué sur ce point. En effet, il comporte pratiquement tous les droits exigés par les mouvements liés aux luttes des « immigré·es ». Tous, sauf un : le droit de vote aux élections politiques, dès lors que les personnes travaillent et vivent ici depuis quelques années (deux ou trois…).
Une réponse hypocrite survient vite. « Mais si, il y a le droit de vote aux élections locales ». Cette formule faisait partie des cent-dix promesses de François Mitterrand. Mais, elle n’a jamais été mise en œuvre. Motif, à l’époque : la masse de la population ne le comprendrait pas ! Avec une argumentation gorgée d’esprit colonial et raciste quand on la réécoute : il faut bien qu’ils aient le temps d’apprendre nos institutions et que les français se fassent à cette idée.
Pourtant, s’ils ne sont pas « comme nous », les premier·ères à s’être stabilisé·es dans « l’hexagone » sont arrivé·es dans les années 1930. Nous en sommes à des immigré·es de la sixième génération !
Et certain·es, d’origine algérienne, furent un temps « Français » de plein droit, jusqu’en 1962.
François Mitterrand, ex-ministre de la Justice de la 4e République, pouvait-il se déjuger après en avoir fait exécuter pendant la guerre d’Algérie ?
Et tout cela nous suit depuis
Ainsi, au moment du Front de gauche, en 2011, les dirigeants de la France Insoumise s’opposaient à ce que cette exigence – soutenue par le PCF, la GU et la FASE – soit inscrite dans le texte.
Ici, reconnaissons que le film Tirailleurs pourrait être l’occasion de changer cette « règle ». Cessons d’ouvrir une autoroute aux idées de la droite raciste ! Nous entendons assez les « vous voyez bien qu’ils/elles ne sont pas comme nous ! ». Sur le ton de Zemmour ou de Louis Aliot, quelle différence ?
De fait, le silence tacite des organisations de la NUPES est aujourd’hui sans excuse. Ce n’est pas parce qu’il y a – aussi ! – d’autres urgences avec leur lot de clarifications nécessaires qu’il faudrait cacher ce juste droit. Au même moment, en Allemagne, est ouvert le débat afin de diminuer le nombre d’années de présence pour que des étranger·ères résident·es et travaillant aient les droits politiques : actuellement, huit ans. Les projets de réforme portés par le PS et les Verts sont sur un délai de cinq, voire de trois ans. Contre les discriminations et la xénophobie : unité démocratique.
Une précision sur les origines de cette « règle » ((P. Cours-Salies Une fabrique pour deux questions nationales, février 2019, Les Possibles, ATTAC, Numéro 19 – Hiver 2019 > Dossier : Des migrations et discriminations aux Gilets jaunes))
Pour l’ironie nécessaire… Une ou deux précisions.
Des droits politiques pour « les étrangers qui travaillent et vivent en France »… en 1889
Notons un précédent d’utilisation massive, en France, du droit du sol pour reconnaître les droits politiques aux étrangers résidents. En 1889, la bourgeoisie se divise devant le projet d’une partie de la droite, soucieuse de bien gérer l’État et les intérêts français. À ce moment, la France fait face à une vague très forte de chauvinisme national et d’aventures colonialistes. La controverse : faut-il appliquer le droit du sol à tous les « étrangers qui travaillent et vivent en France » ?
L’argument pour reconnaître ces droits politiques et fabriquer plus d’un million de Français était un calcul simpliste en apparence, mais une question de vie ou de mort. Il fallait avoir assez de bras pour faire une guerre de revanche, après la saignée de la guerre de 1870. Controverse violente, mais victoire des calculs des hauts fonctionnaires et de l’État-major. Ce fut voté : droit reconnu à ceux qui résident et à leurs fils, même nés avant qu’ils arrivent, mais résidant en France.
Mais des droits refusés aux « musulmans d’Algérie »
Toutefois, ce rappel montre les racines de ce que subissent les « immigré·es ». Il fallait aussi régler la question de l’Algérie. Une double question : après cette naturalisation en masse, par la décision de 1889, les « Français d’Algérie » étaient une population qui avait plus que doublé, composée de 578 000 habitants, la majorité issue de divers pays de la Méditerranée, d’origine non française.
Cette mesure de « droit du sol », appliquée du fait que « l’Algérie, c’est la France », refusait les mêmes droits politiques pour les Algériens. En 1898, Jaurès soulève un tollé à la Chambre des députés quand il défend « l’émancipation des Musulmans algériens par la qualité de citoyens français » ((Sur l’évolution de Jaurès, avec une postface de Patrick Farbiaz, des textes présentés par Gilles Manceron « Jean Jaurès, Vers l’anticolonialisme. Du colonialisme à l’universalisme », éd. Les petits matins, 2015.)).
Les socialistes ne reprendront jamais cette position, ni sous la 3e République, ni sous la 4e. ((Peo Hansen et Stefan Jonsson démontrent dans leur livre comment F. Mitterrand et Guy Mollet ont agi comme stratèges pour une « Eurafrique » dans les années 1950, dans Eurafrique, La Découverte, 2022))
Si le terme « colonialisme » trouve son origine dans des débats politiques en 1897, le besoin d’une force politique qui sache critiquer et surmonter un tel passé reste terriblement présent.
Pierre Cours-Salies
31 déc. 2022
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