Carte Nord-Kivu en RDC
Les 29 et 30 novembre 2022, dans l’est de la République Démocratique du Congo, un massacre a été commis. Au moins 131 civils ont été tué·es par balle ou à l’arme blanche, une vingtaine de femmes dont des fillettes ont été violées. Analyse de la situation et témoignage.
I – Énième massacre au Nord-Kivu (République Démocratique du Congo), quid du Rwanda ?
Après enquête, les agent·es du bureau conjoint des droits de l’homme de l’ONU ont confirmé que c’étaient les rebelles du M23 qui étaient responsables des exactions citées dans le chapô. Ces groupes militaires sont intervenus à Bambo et Kishiche, au Nord-Kivu – province frontalière du Rwanda – à titre de représailles, après des combats entre le M23 et des groupes des Forces démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) et de Maï-Maï.
Belligérants et criminels
Le M23 est en fait le prolongement « ethnique » (tutsi congolais de la région) voire militaire (soldats de l’Armée Populaire du Rwanda, APR) du pays voisin, le Rwanda. Celui-ci est dirigé d’une main de fer par le Front Populaire Rwandais (FPR), avec Paul Kagamé – membre du groupe tutsi – à sa tête.

Répartition des groupes armés au Nord-Kivu
Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), membres du groupe hutu, sont issues de l’armée rwandaise qui avait épaulé le gouvernement génocidaire de 1994, renversé par le FPR en juillet 1994. L’armée défaite s’est alors, en partie, exilée en RDC, ce que le FPR. a invoqué pour envahir le Kivu. À partir de la fin 1994, le Rwanda ne s’est plus jamais vraiment retiré de cette région, menant la guerre soit par belligérants interposés soit directement. L’argument ultime justifiant cette ingérence répétée – quand les dénégations du Rwanda ne font plus illusion – est la présence sur le sol congolais de groupes des FDLR
Au fil des ans, ces FDLR ont éclaté en plusieurs petits groupes. Et, 28 ans après le génocide, ils se sont sédentarisés et ont fondé des familles. Les anciens soldats ont vieilli, lorsqu’ils vivent encore.
Les Maï-Maï sont des milices locales qui se sont constituées, puis armées, pour faire face aux exactions commises dans leur village ou district. Dans la plupart des cas, c’est pour se défendre de l’armée rwandaise et de ses supplétifs, dont la violence dépasse souvent en horreur celle des autres bandes armées, ce qui n’est pas peu dire.

Fuite des habitants du Nord-Kivu vers Goma
En l’occurrence, dans la région de Bambo, à plus de 40 km de la frontière, des affrontements ont opposé les Forces Armées de République du Congo (FARDC) – épaulées par des Maï-maï et des FDLR – au M23, armé et encadré par des soldats rwandais. Les experts des Nations Unies l’ont encore confirmé récemment. Une fois de plus, l’armée rwandaise s’est vengée sur la population locale dont sont issus les Maï-Maï.
Les massacres par représailles de l’armée d’occupation sont, en effet, une technique de choix dans cette région afin de terroriser et soumettre la population.
Pour rappel, plusieurs chefs de guerre congolais du groupe tutsi et soutenus par Kigali (capitale du Rwanda) ont été jugés à la Cour Pénale Internationale pour crimes contre l’humanité : Bosco Ntagenda surnommé « Terminator » (30 ans de réclusion) ou Thomas Lubanga (peine effectuée : 14 ans). Laurent Nkunda qui a dirigé militairement la région de 2003 à 2009, malgré un mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité lancé contre lui, coule des jours paisibles au Rwanda depuis son retrait du Kivu.

Mine de Coltan au Nord-Kivu
Pillage organisé
Pourquoi cet acharnement du Rwanda au Kivu (provinces du Nord et du Sud) ? En plus des ressources agricoles vivrières ayant fait de ces provinces le « grenier » du pays, s’y trouvent des minerais précieux : surtout coltan, cassitérite, wolframite, or puis tantale, tungstène, étain… Depuis la tentative avortée en 1998 du Rwanda d’installer un de ses fondés de pouvoir à la tête de la RDC, le FPR s’est replié sur la moitié est de ce très grand pays, mise en coupe réglée avec l’Ouganda, puis enfin sur le Kivu avec des gouverneurs vassaux de fait. L’annexion pure et simple du Kivu a été envisagée par Kagamé. Cette proposition a été refusée – y compris par les populations locales pourtant rwandophones – horrifiées par la violence de son armée et de ses milices. Il a cependant continué à piller les mines du Kivu par milices interposées. La plupart des cinq sites miniers du Nord-Kivu sont contrôlés par ces mouvements qui vendent leur production au Rwanda en toute illégalité. Ce dernier exporte ensuite celle-ci à bon marché vers les USA et la Grande-Bretagne.
À présent, le Rwanda est l’allié des USA en Afrique de l’Est et y envoie des troupes sous mandat des Nations Unies : en Somalie, au Mozambique, etc. Le gouvernement rwandais a aussi accepté, scandaleusement, la présence sur son sol de camps de détention – financés par le gouvernement britannique – pour y emprisonner des demandeur·euses d’asile arrivé·es illégalement au Royaume-Uni.
La France, complice par lâcheté
Entre intérêts géopolitiques, sentiment de culpabilité du PS et de la droite française sur le génocide de 1994 au Rwanda, respect de la population du Congo, le président Macron s’est rabattu sur la solution, à la fois la moins exposée et la moins morale : le soutien au Rwanda.
ENSEMBLE! demande : l’élargissement du mandat des troupes des Nations Unies (MONUSCO) en RDC afin d’accomplir les impératifs de désarmement immédiat de toutes les milices de l’est de la RDC ; le retrait complet de toutes les forces étrangères ; une traçabilité fiable des minerais produits en RDC ; et des sanctions économiques et politiques dissuasives contre le Rwanda en cas de refus d’accompagner cette évolution.

La population a besoin d’assistance au Nord-Kivu
Récapitulatif : abréviations et milices diverses
APR : Armée Populaire du Rwanda. C’est l’armée du Rwanda.
FARDC : Forces Armées de la République du Congo. C’est l’armée de la République Démocratique du Congo (RDC).
FDLR : Forces Démocratiques de Libération du Rwanda. Ces milices issues de l’ancienne armée du Rwanda avaient soutenu le gouvernement génocidaire de 1994.
FPR : Front Populaire Rwandais. C’est le parti au pouvoir au Rwanda, dirigé par Paul Kagamé.
M23 : Milice téléguidée par le Rwanda.
Maï-Maï : Milices locales constituées pour défendre les villages.
MONUSCO : Force d’interposition des Nations Unies en RDC (République Démocratique du Congo).
RDC : République Démocratique du Congo, ex-Zaïre. Au temps de la colonisation, Congo belge.

Mur d’espoir au Nord-Kivu
II – Un témoignage du Nord-Kivu
Contexte : Depuis plusieurs mois, une milice dite M23 ravage et terrorise le Nord-Kivu, capitale Goma, à côté du Rwanda. Cette milice est connue comme suscitée et commandée à distance par Paul Kagamé, le dictateur rwandais. Son but est de s’approprier les richesses locales (en particulier les mines de coltan), mais éventuellement aussi annexer la région. On pourrait faire de nombreuses comparaisons avec Poutine : désirs de conquête territoriale, mépris complet de la vie humaine, etc. L’armée nationale congolaise est assez impuissante et la force locale de l’ONU (la MONUSCO) n’intervient pas !
Les conséquences pour la population sont terribles : pillages, exactions et meurtres, encore et toujours usage du viol comme arme de guerre, rançonnement de la population prise en otage. De plus, les villes, comme Goma, dépendent de la production alimentaire des campagnes. Les prix ont terriblement augmenté, la situation de certains frôle la famine !
Contexte stéphanois : L’association « Espéranto Saint-Étienne » entretient des relations avec des citoyen·nes de cette région depuis plus de 30 ans. Nous avons souvent envoyé de petits secours (machines à coudre, etc.). Nous recevons fréquemment des nouvelles (et des photos) de cette région. Les sources sont concordantes.
Voici, ci-dessous, celle que nous venons de recevoir.
Faire connaître ces événements est absolument nécessaire, surtout quand les médias en parlent peu. Nous devons avoir la même attention pour toutes les victimes, pour tous les points chauds du monde. Car tous sont aussi douloureux voire désespérants pour les populations.
Grandes misères des habitants du district de Rutshuru
au nord de Goma, près de la frontière de l’Ouganda. République Démocratique du Congo
Salut chers amis.
Nous sommes fatigués des souffrances quotidiennes causées par nos voisins.
J’aimerais décrire brièvement la situation vécue à Rutshuru, où dirige la M23 (de Paul Kagame)

Nord-Kivu motard fouetté à mort
Salongo : Chaque samedi, les rebelles terroristes de la M23 obligent les habitants à « faire Salongo » c’est-à-dire un travail de nettoyage en commun. Ceux qui ne participent pas sont punis et sévèrement fouettés !
Imposto [racket] : Pour permettre d’apporter à la maison un sac de 100 kg de haricots, de soja, de maïs, etc. de son champ, les rebelles ont dressé une barrière sur les routes et exigent un paiement de 2 000 FC [francs congolais] par sac de 100 kg, de 500 à 1 000 FC pour quelque autre emballage.
Chaque cultivateur doit acheter à nouveau son champ, sans quoi il sera vendu à un autre !
(2 000 FC = 1$, pas facile à trouver avec la crise terrible).
[Amendes] : L’heure fixée pour revenir à la maison des champs est 16 heures (du soir). Après cette heure, les retardataires doivent payer une amende : à 17 h de 1 000 FC par personne, à 18 h de 2 000 FC et à 19 h de 3 000 FC. De telles amendes n’avaient jamais été demandées avant l’arrivée de ces rebelles terroristes. Nous sommes en pleine peur et consternation. Les récoltes n’ont plus de clients, car les routes vers les villes importantes (Goma, Butembo) sont barrées.
La vente de la boisson locale, souvent nommée Kindingi [eau-de-vie de banane, très alcoolisée] est strictement défendue.
La langue lingala [langue de Kinshasa (à l’ouest). Les habitants du Kivu parlent le swahili, les Rwandais le kinyarwanda. Les gens s’identifient facilement entre eux par les langues employées] est considérée comme langue d’espionnage dans l’aire contrôlée par les rebelles.
Un véhicule transportant des marchandises dans l’aire contrôlée par les terroristes paie 200 USD (dollars !) à l’aller et les véhicules qui transportent des marchandises de Bunagana ou de Kitagoma (d’Ouganda) paient 200 $ par tournée.
L’impôt par maison est fixé à 10 $.
Nous sommes ici vraiment dans la gueule du loup et comme Daniel [le prophète dans la Bible] nous nous trouvons encerclés au milieu de lions affamés (selon la sainte Bible).
[Enrôlements de force] : Dans quelques villages, des jeunes sont pris de force pour être enrôlés. Dans d’autres, la population innocente est exterminée. [Lire : « Massacre des populations à Rusthuru, pillages des dépôts des vivres, enlèvement des jeunes, enrôlement forcés… … la société civile dénonce l’agression rwandaise sous couverte du M23»]. Terrible au plus haut point !
Il n’est pas acceptable qu’un petit pays – 80 fois plus petit que la RD Congo – nous colonise. Mais il est indiscutable que derrière le M23 et le Rwanda, il y a des instigateurs puissants. Nous espérons que cette guerre et notre souffrance finissent un de ces jours, bientôt !
La guerre ne construit jamais rien, mais détruit, rend misérable et sans pitié ! Je la déteste !
Nous sommes las de cette insécurité quotidienne et de ces souffrances depuis 1996.
Amicalement,
Jean
[Le prénom a été modifié par sécurité]
NB : À travers tout le territoire de Rutshuru, les écoles sont fermées et donc ne fonctionnent plus. La population vit dans la misère dans les divers villages et dans des campements-refuges, comme celui de Kanyaruchinya, à côté de Goma.
[Lettre traduite de l’espéranto]
Imaginez : des jeunes de 20 ans ou 22 ans n’ont jamais connu la Paix !
Pierre
Saint-Étienne (42)
Vincent Buard, Jean-Marie Fouquer, Jean-Paul Gaschignard
24 décembre 2022
Pour compléter, vous pouvez lire sur notre site :