Il y a deux ans, nous avancions une revendication qui était perçue comme irréaliste : « Personne en dessous du seuil de pauvreté ». Début octobre, le réseau ALERTE a rendu public son rapport : « Contre la pauvreté, il coûte plus cher de ne rien faire que d’agir ».
Éradiquer la pauvreté, un objectif à notre portée
Par Étienne Adam. Le 29 octobre 2024.
Il y a deux ans, ENSEMBLE! publiait une brochure « Abolir le chômage, la précarité et la pauvreté ». Nous avancions une revendication qui était perçue comme irréaliste : « personne en dessous du seuil de pauvreté ». Cette revendication était pourtant être plus ou moins partagée par celles et ceux qui sur le terrain luttaient contre la pauvreté.
Depuis, des syndicats, des associations revendiquent un relèvement massif des minima sociaux. Il s’agit d’un transfert financier important qui viendrait rectifier celui des pauvres vers les riches que des années de néolibéralisme ont renforcé. Ainsi, par exemple, 500 personnes détiennent aujourd’hui l’équivalent de 45 % du PIB (contre 406 en 1996). Par contre, 9,1 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté (14 % de la population, un record!).
Le refus de ces inégalités s’est exprimé depuis quelques mois. Les politiques qui nous gouvernent donnaient l’impression d’avoir compris qu’un peu de justice fiscale s’imposait, comme le disaient un certain nombre de leurs économistes.
Un débat budgétaire hors sol
Le ridicule ne tue pas. C’est heureux pour les politiques de droite et d’extrême droite uni·es dans la défense des riches et de leurs intérêts. La moindre tentative de taxation des patrimoines, des profits ou des multinationales soulèvent des protestations que Donald Trump ne pourrait qu’approuver.
Les grands médias – y compris les médias publics qui devraient être pluralistes – reprennent leurs discours sur la dangerosité, l’irréalisme des propositions et des amendements de la gauche. Augmenter leurs impôts serait tuer les riches, les pousser à partir et nuirait à l’emploi. Qu’importe si ces arguments – usés à force d’avoir servi – sont régulièrement démentis par des études, y compris officielles.
Loin des réalités quotidiennes qui écrasent des millions de personnes, tous ces gens-là oublient que leur fortune, leur patrimoine et leurs revenus s’écartent de plus en plus de ceux d’une majorité de la population.
La pauvreté, ils ne veulent pas la voir. Ils n’en parlent que pour dénoncer « l’assistanat » et le coût de l’État social. La pauvreté, disent-ils, a toujours existé et personne n’y peut rien. Dans la version la plus pure du néolibéralisme, la pauvreté est l’effet d’une nature humaine qui crée les inégalités. Chacun·e est riche ou pauvre selon son mérite (et sa capacité à traverser la rue comme l’a dit un penseur de bas étage).
Certain·es animé·es par la charité veulent bien faire « un petit quelque chose » pour ces miséreux. Mais il n’est pas question de remettre en cause les politiques suivies.
Rarement le décalage n’aura été aussi manifeste entre la vision du monde de la scène politico-médiatique et les réalités de l’urgence sociale. Politiques, médias et patronat font tout pour nier, occulter cette urgence sociale. C’est pourquoi nous devons, à gauche, relayer ce que disent les associations du réseau Alerte. Il faut nous servir de leurs arguments pour faire sortir les pauvres de leur invisibilité.
Contre la pauvreté, il coûte plus cher de ne rien faire que d’agir
C’est le titre un peu provocateur du rapport que vient de rendre public le réseau ALERTE. Ce réseau est composé d’associations diverses allant des grandes associations gestionnaires du secteur social à des associations plus militantes sur le terrain des droits en passant par les associations caritatives.1Un collectif national
Depuis des années, le collectif national et ses collectifs locaux interviennent sur les plans gouvernementaux de lutte contre la pauvreté. Ils s’appuient sur les demandes de celles et ceux qui sont sur le terrain sur la question de pauvreté. Leur action permanente est de rappeler l’existence de la pauvreté et de proposer des moyens pour la combattre. Mais c’est la première fois qu’ils s’engagent dans une démarche aussi globale qui va déboucher sur une proposition de loi. C’est probablement sous la pression des travailleur·ses sociaux·ales démuni·es face aux urgences sociales de plus en plus fortes.
ALERTE a donc demandé une étude au cabinet Oliver Wyman2« Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant ». Ce denier s’est appuyé sur des travaux conduits en France où à l’étranger. Si certains résultats sont préliminaires et appellent des approfondissements, l’intérêt de ce travail est reconnu par le président du Conseil national de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Lutter contre la pauvreté est un investissement social payant. C’est aussi une évidence économique pour ALERTE.
L’étude porte sur le coût social de la pauvreté, sur l’évaluation du coût des mesures proposées et sur l’évaluation des gains pour l’État et la société de l’éradication de la pauvreté. Le bilan est clair : si on prend tout en compte, la pauvreté coûte 119 milliards par an. Aux 51 milliards de transferts sociaux, il faut ajouter 39 milliards de surcoûts pour la santé par exemple, et 28 milliards de manques à gagner en recettes fiscales par exemple.
Le financement du plan – dont le relèvement du niveau de vie des pauvres jusqu’au seuil de pauvreté représente les 2/3 – entraînerait une dépense supplémentaire de 8 milliards par an sur 10 ans : 28 milliards la première année pour tendre vers 0.
Tout ceci se fait à situation constante et ne tient compte ni d’une politique d’emploi fondé sur les services publics et la transition écologique, ni d’une RTT massive, ni d’un nouveau statut du travail salarié qui ouvre des droits à la garantie de salaire…
« Personne en dessous du seuil de pauvreté », c’est réaliste !
C’est le dispositif le plus important prévu par l’étude : relever le niveau de vie par augmentation des dispositifs tels qu’ils sont aujourd’hui. Il coûterait 18 milliards auxquels il faut ajouter 4 milliards pour les non-recours actuels (particulièrement importants pour le RSA que 34 % – soit 600 000 personnes – ne demandent pas).
Ce coût ne prévoit pas l’individualisation des minima sociaux.
Le financement de cette revalorisation est limité dans le temps et tendrait à disparaître avec la réduction de la pauvreté. Les bénéficiaires relèveraient de plus en plus du droit commun : emploi ou nouvelle indemnisation du chômage.
Il est par contre urgent de répondre à cette urgence sociale qui consiste à fournir à chacune et chacun des moyens convenables d’existence comme le dit le préambule de la constitution.
Il est urgent aussi de mettre fin à la désorganisation du marché du travail que permet la pauvreté.
Pourquoi ne pas mener campagne avec les associations pour ce plan. Ce dernier pourrait être financé rapidement par un emprunt forcé sur les gros patrimoines (les 10 % les plus fortuné·es qui détiennent 47 % du patrimoine total).
Le collectif va déposer une proposition de loi. C’est la gauche qui doit être au premier rang à l’Assemblée et partout pour la soutenir. La gauche doit débattre avec toutes les composantes associatives et syndicales autour de cet objectif.
Notes
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