Plus que jamais, une nécessaire solidarité !
Le 13 septembre 2022, une jeune Iranienne – Jîna Mahsa Amini – était arrêtée en Iran par la « police des mœurs » au motif que son voile laissait apparaître quelques mèches de cheveux. Le 16, la même police annonçait son décès, tout laissant penser qu’elle avait été assassinée par ses séides. Cela fait donc un peu plus de 2 mois.
Les femmes contre l’oppression
Son assassinat a provoqué de manière spontanée et inorganisée un soulèvement populaire qui ne cesse de s’approfondir. Soulèvement qui fut d’abord, et en tout premier lieu, celui des femmes iraniennes. Soulèvement contre l’oppression physique, sociale, économique, culturelle, mentale, psychologique dont elles sont victimes depuis l’instauration de la République islamique en 1979.
Ce n’est pas la première fois que les femmes d’Iran se trouvent à l’avant-garde de la contestation du régime des mollahs : dès le 8 mars 1979, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, les Iraniennes sont massivement descendues dans la rue alors que l’ayatollah Khomeiny, venait de proclamer la République islamique. Elles protestaient alors contre l’adoption par le nouveau régime des lois de la charia qui limitent leurs libertés au cri de « ni tchador ni foulard ». Elles sont de fait devenues légalement et officiellement des citoyennes de seconde zone, ce qui n’était pas le cas auparavant. En 2012, le « Conseil des Gardiens de la Révolution » (12 juristes religieux non élus) approuve une modification du code pénal certifiant la compatibilité de la charia et de la Constitution iranienne !
Aujourd’hui, les femmes d’Iran font preuve d’un courage admirable face au régime qui les opprime. Par milliers, elles ont ôté leurs voiles, les ont souvent brûlés. Beaucoup se sont coupé les cheveux en signe de protestation et elles osent manifester à visage découvert.
Un soulèvement populaire
Mais un nouvel élément est vite apparu : ce soulèvement initié par les femmes a été suivi et amplifié par la majeure partie de la population et c’est tout un peuple qui se dresse pour retrouver ses libertés démocratiques bafouées depuis plus de 40 ans. C’est le sixième mouvement de révolte majeur contre le régime depuis 2009, mais c’est le premier à durer si longtemps, à tenir toujours tête face à une répression impitoyable.
La révolte originelle des femmes s’est muée en soulèvement insurrectionnel contre le régime. La contestation s’étend, se déplace pour échapper à la répression, change de forme, se démultiplie. Des sportifs, des artistes, des journalistes, etc. déclarent publiquement leur soutien au mouvement. Des grèves éclatent dans des centres industriels (notamment dans les bassins pétroliers et les raffineries, mais aussi dans les « bazars » comme à Téhéran) malgré la répression dont les syndicats sont victimes depuis des décennies. La jeunesse n’est pas en reste : nombre de facultés sont occupées, évacuées de force par les forces de l’ordre, réoccupées. La mixité dans les cours est imposée, des cloisons abattues et des profs particulièrement conservateurs sont chassés des facs. Et ces derniers jours, des vidéos ont franchi les barrages de la censure nous montrant un petit jeu pratiqué par des jeunes : il s’agit de s’approcher d’un mollah dans la rue et de faire tomber son turban. Ce geste symbolique, mais non dénué de danger, montre la détermination de la jeunesse et sa résistance à l’autorité islamiste.
Les minorités régionales dans le mouvement
La jeune femme qui a été assassinée s’appelait Jîna Amini. Les autorités iraniennes, relayées en cela assez bêtement par les médias occidentaux, l’ont renommée Mahsa. Pourquoi ? Parce que Jîna est un prénom kurde, la jeune femme étant originaire du Kurdistan iranien. Mahsa est donc un prénom enjoint par l’administration iranienne qui refuse les prénoms signant une identité kurde. On touche ici une autre spécificité de l’actuel soulèvement : il s’est propagé très rapidement et est toujours particulièrement actif dans les territoires de certaines minorités ethniques – Kurdistan et Baloutchistan notamment – où l’administration d’État est très largement perçue comme « coloniale », et également dans les régions des minorités arabes, toutes par ailleurs en majorité musulmanes sunnites.
Au Kurdistan particulièrement existe une longue tradition de lutte sinon indépendantiste (il exista en effet au sortir de la seconde guerre mondiale une éphémère République Kurde indépendante autour de la ville de Mahabad) du moins très fortement autonomiste. La région, comme le Baloutchistan, est maintenue par le pouvoir dans un état de sous-développement chronique et la répression antikurde y est permanente et violente. Les organisations kurdes clandestines jouent un rôle très important dans l’organisation, l’encadrement et le développement de la révolte actuelle, ce qui a amené Téhéran à envoyer des drones bombarder la région du Kurdistan autonome d’Irak, considérée comme une base arrière de l’insurrection en Iran.
Cette révolte fait face à une répression d’une violence inouïe. Dès le début du mouvement, la majorité des 290 députés a demandé aux autorités l’application de la loi du talion contre « les ennemis de Dieu ». Les morts se comptent aujourd’hui par centaines. Le chiffre de 300 morts est avancé, il est en réalité certainement beaucoup plus élevé. De même pour les 14 000 arrestations, à l’évidence très sous-évaluées. Le nouveau fait est qu’aujourd’hui les gens n’ont plus peur et ne se « contentent » pas de subir les exactions des forces de répression, mais commencent à riposter, comme en témoignent les 10 policiers tués à l’ouest de Téhéran le jeudi 3 novembre. Des fissures se font jour dans les forces de répression entre les militaires et les Gardiens de la Révolution. Dans les quartiers populaires de Téhéran, des policiers refusent de tirer sur les manifestants.
Est-ce à dire que l’Iran se dirigerait vers une Révolution ? Azadeh Kian, spécialiste de l’Iran, enseignante à Paris, n’hésite pas à l’affirmer : « ce n’est pas un mouvement, c’est un début de Révolution », s’appuyant sur le fait que plus de 50 jours après son début, le mouvement ne faiblit pas et que, dit-elle, les gens n’ont plus peur. Cela reste cependant à voir et se pose alors la question de l’existence d’une force sociale et /ou politique en capacité de proposer un chemin vers une sortie victorieuse du soulèvement afin de rétablir la liberté et la démocratie.
Construire la solidarité, maintenant
On ne peut plus assister quasiment muet aux massacres des femmes, des jeunes et des démocrates en Iran et dans les régions depuis trop longtemps opprimées par le régime. Que des actrices, fussent-elles mondialement connues, se coupent une mèche de cheveux en solidarité ne suffit pas !, car le mouvement actuel a largement dépassé le stade de la seule révolte des femmes contre le port du voile.
Ce qui est aujourd’hui de la première urgence, c’est que s’affirme haut et fort dans le pays un large mouvement de solidarité avec l’insurrection en Iran.
Non content de réprimer violemment le mouvement dans la rue, le pouvoir iranien entend exécuter des manifestant-e-s actuellement emprisonné-e-s. Déjà au moins cinq condamnations à la peine capitale ont été prononcées après un simulacre de jugement, condamnations qui peuvent être mises en œuvre à tout moment. Mais, selon l’ONG Human Right Watch, ce sont plusieurs centaines de personnes qui pourraient encourir la peine de mort dans les prochains jours.
C’est pourquoi Ensemble ! exprime sa solidarité avec les revendications du peuple iranien, et entend contribuer de toutes ses forces à la construction et à l’expression d’un puissant mouvement de solidarité, politique, syndical, citoyen.
Gilles Houdouin et Gilles Lemée,
13-11-2022
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