À ENSEMBLE!, les féministes écrivent leur propre « feuilleton » revendicatif. Inscrit dans l’épopée des mouvements de libération des femmes – devenus séculaires maintenant – il n’est toujours pas abouti. Son titre : « égalité de droits, égalité de choix, égale liberté pour toutes et tous ». L’interruption volontaire de grossesse y a son propre chapitre. !
Droit ou liberté pour l’IVG
Par Bernadette BOUCHARD de la commission féministe d’ENSEMBLE!, le 20 février 2024
L’IVG est autorisée en France depuis la loi du 17 janvier 1975, dite loi « Veil »1https://www.wikiwand.com/fr/Loi_Veil. Mais, cette loi est loin de garantir l’égalité entre toutes les femmes et même tout simplement de garantir que ce choix leur sera possible.
C’est pourquoi les féministes demandent, depuis des années, que l’IVG soit inscrite dans la constitution comme un droit inaliénable.
Voilà donc une nouvelle page à inscrire au « feuilleton » !
En ces jours d’espoir de janvier 2024 : déception totale !
L’inscription du droit à l’IVG dans la constitution a été votée à l’assemblée par une écrasante majorité (493 voix contre 30). Elle devait être adoptée par le sénat, avec le même texte, pour que le Congrès puisse se réunir et l’avaliser.
Mais, G. Larcher, président du Sénat, a estimé que la Constitution n’était pas un « catalogue de droits sociaux et sociétaux » et qu’il convenait donc de s’exprimer différemment dans ce cas.
C’est ainsi que, dans le texte adopté par le sénat, il est stipulé que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Le « droit à l’IVG » disparait dans le texte, il ne sera donc pas un droit fondamental de la constitution.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Le glissement sémantique de « droit » à « liberté » ne correspond pas aux revendications des femmes. Ce qui est déterminé par la loi – comme la fameuse « liberté » inscrite au fronton des édifices publics de la France – peut toujours être remis en cause par une autre loi, émise dans d’autres circonstances ou par d’autres gouvernant·es.
Le droit protège plus que la liberté
Entre liberté et droit de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, la différence est « subtile », selon Maître Nadia Kebaïli.
Mais le « droit à » est plus fort que la notion de liberté puisqu’il renvoie à quelque chose que l’on possède et dont on peut se prévaloir de façon plus concrète, sans discussion aucune, ce qui n’est pas le cas d’une « liberté ».
« La liberté est une notion plus large, plus générale et plus abstraite. Par exemple, on dispose du droit de propriété, mais de la liberté de conscience, de pensée, de religion…
Alors, « Le droit » protège-t-il davantage le recours à l’IVG que la liberté ?
« Il pourrait le garantir davantage, affirme Maître Nadia Kebaïli. C’est d’ailleurs pour ça que les sénateurs n’étaient pas d’accord sur la question de droit ou de liberté. »
Dans l’article 4 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, il est écrit que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Si l’on pouvait s’en tenir à cette stricte définition, il serait inutile de recourir à l’élaboration d’une loi.
Mais on y est obligé ! Parce que certain·es diront que l’IVG est une atteinte à la vie d’autrui. Donc, elle nuit à autrui, donc on n’est pas autorisée à y recourir! Et qui autorise ?
Parce que nous vivons dans un « État de droit », c’est l’État qui veille à ce que les libertés de tout le monde soient respectées et son outil pour ce faire s’appelle la loi. C’est donc dans la loi que l’on retrouve tous les principes de garantie des libertés : loi concernant la laïcité, loi concernant la liberté de circuler, loi concernant la liberté de propriété ainsi qu’une multitude d’autres… À noter que la santé publique ou la sûreté nationale sont toujours prioritaires sur les libertés individuelles et que la notion d’intérêt général, prime sur l’intérêt particulier. De même, les libertés d’un individu ou d’un groupe d’individus sont toujours moins importantes que celles de la société entière.
De nombreux exemples viennent illustrer cette notion : le pass sanitaire dans le cadre de la pandémie COVID de 2020, l’expropriation pour la création des routes, etc. La liberté fluctue avec les lois ou encore les lois déterminent les libertés qui, de fait, touchent à la subjectivité, en opposition totale avec la rigueur du droit.
Le débat est donc à reprendre.
Il eut fallu mener une réflexion démocratique approfondie, entre toutes et tous, sur , d’un côté, la liberté en question, celle d’interrompre la grossesse avec de possibles limites et de l’autre sur son possible droit inconditionnel. Car « droit » et « liberté » sont deux notions bien différentes. « La liberté est une ‘possibilité de faire’, alors que le droit est une obligation qui incombe aux partenaires en lice ».
Cette différence est fondamentale. Ce sont les gouvernements qui définissent par la loi le cadre de nos libertés. Les femmes demandent que ce droit soit constitutionnalisé car c’est affirmer sans détour qu’il existe, qu’il n’est soumis à aucune subjectivité, ce qui n’est pas le cas pour la simple liberté, (souligné par Anne-Charlène Bezzina sur Europe 1. )
Imaginons que demain nos gouvernant·es justement, par rapport à cette volonté avancée par Marcon « d’un réarmement démographique » émettent une loi qui restreigne la liberté d’avorter : selon l’âge de l’éventuelle parturiente ou selon sa situation familiale. Puisque le droit d’avorter n’est pas constitutionnel, la liberté de le faire n’aurait que la légitimité donnée par cette dernière loi ! C’est-à-dire une restriction drastique de l’acte !
C’est bien la preuve que la formule proposée par le Sénat est potentiellement dangereuse. Elle pourrait permettre l’apparition d’une nouvelle loi définissant des conditions d’accès à l’IVG plus restrictives (dixit Suzy Rotjman), voire impossibles.
Désormais, le texte va retourner à l’Assemblée nationale, où il doit de nouveau être examiné et voté.
En cas de désaccord persistant, ne pourrait-on pas soumettre ce choix à référendum populaire ? Celui-ci pourrait faire la preuve que la démocratie n’est pas morte dans notre pays et son résultat pourrait donner satisfaction aux féministes. (Encore faudrait-il que les réseaux anti-avortements soient moins prégnants que certain·es ne le disent !)
Qui sait ? Tenter ce travail est un challenge auquel il est bien certain que les macronistes ne se risqueront pas.
Pour les optimistes, l’inscription de l’IVG dans la Constitution serait déjà « une grande avancée » et « une grande garantie ». « Si la liberté d’avorter est constitutionnalisée, aucun texte ne pourra remettre en cause cette liberté. Après, il faudra déterminer ce que revêt cette liberté, comment cette liberté pourra s’exercer concrètement », disent-elles/ils.
Ces optimistes-là ne sont pas militant·es à ENSEMBLE!, pour qui l’IVG doit absolument devenir un droit constitutionnel.
À ENSEMBLE!, le combat féministe continue et continuera jusqu’à la victoire. L’IVG est un droit, le droit des femmes à disposer de leur corps en toutes circonstances.
Il faut le constitutionnaliser !
Notes
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