La Sécurité sociale de l’alimentation consiste à créer de nouveaux droits sociaux visant à assurer conjointement un droit à l’alimentation, des droits aux producteurs d’alimentation et la protection de l’environnement. Pierre Khalfa poursuit la discussion en questionnant la logique de la démarche.
Les bonnes intentions ne font pas les bonnes solutions
Par Pierre Khalfa. Le 28 novembre 2023
La sécurité sociale de l’alimentation (SSA) a pour objectif de sortir du modèle de l’agro-industrie pour réaliser l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous. Elle repose sur trois piliers : une allocation universelle de 150 euros par mois fléchée pour l’achat de produits alimentaires ; un conventionnement des acteurs et des produits hors des enseignes de l’agro-industrie ; un financement par une nouvelle cotisation sociale sur la valeur ajoutée des entreprises. Cette perspective pose plusieurs problèmes.
La première question est celle du financement. Une allocation universelle de 150 euros par mois, cela fait environ 120 milliards d’euros par an. Rappelons que les dépenses de la sécurité sociale s’élèvent à environ 470 milliards d’euros par an. La question de la faisabilité financière ne peut donc pas être ignorée, surtout quand on se souvient de la difficulté pour trouver quelques milliards pour combler un éventuel déficit dans les régimes de retraite et que d’autres dépenses importantes, notamment en matière de santé, de prise en charge de la dépendance et de la petite enfance devront augmenter et être prises en charge par la sécurité sociale. Cette question est d’autant plus prégnante que nous sommes entrés dans une phase où les gains de productivité s’effondrent et où la productivité elle-même baisse (au moins conjoncturellement). De plus, si l’objectif est d’entrer, pour des raisons écologiques, dans une phase de postcroissance, c’est tout le financement de la sécurité sociale qui sera fragilisée. Or ce financement reposait après-guerre sur une double idée : d’une part, un partage des gains de productivité, rendu d’autre part d’autant plus facile que ceux-ci étaient importants et que, année après année, la croissance économique augmentait la richesse produite. Or ces deux sources de financement sont en train de s’effondrer.
D’où la réponse qui est celle d’une autre répartition de la richesse produite. Une récente étude éclairante des économistes atterrés1Commission Écologie et Société d’Attac, « Dossier spécial sur la Sécurité sociale de l’alimentation », La Lettre n° 2 », mars-avril 2023. confirme que l’on pourra au mieux récupérer 5 points de PIB dans la répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail. Avec tout ça, il faudra financer la réduction du temps de travail, l’augmentation des salaires (au moins les plus bas), la transition écologique et ce qui va avec un début de réindustrialisation et évidemment tout ce qui concerne la sécurité sociale. Certes, une réforme fiscale ambitieuse peut donner des marges de manœuvres supplémentaires. Mais, quoi qu’il en soit, ajouter à ces dépenses indispensables 120 milliards d’euros, qui iraient en grande partie à des gens qui n’en ont pas besoin, n’est pas raisonnable.
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Notes
- 1Commission Écologie et Société d’Attac, « Dossier spécial sur la Sécurité sociale de l’alimentation », La Lettre n° 2 », mars-avril 2023.