Nous avons appris la mise en examen d’une militante à Perpignan, après la plainte pour «injures » déposée par le Maire, Louis Aliot, au nom de la municipalité. Pour en savoir plus, nous avons interviewé Josie Boucher.

Comment est-il possible que tu te retrouves poursuivie en justice par le maire de Perpignan ?

Pour des déclarations rapportées par le quotidien local, L’Indépendant, à l’occasion d’un rassemblement appelé par plusieurs organisations de gauche, en solidarité avec le peuple ukrainien. Quelques jours avant, Aliot, le maire (et, n’oublions pas, aussi vice-président du RN/FN), avait monté une opération de « com » en allant chercher – en bus et en personne ! – une centaine de réfugié·es dans une ville ukrainienne avec laquelle Perpignan est jumelée. Quand on sait les liens idéologiques et matériels du RN/FN avec Poutine on ne peut que dénoncer le cynisme et la démagogie de la chose ! Sans parler évidemment de sa politique raciste à l’égard des réfugié·es et des migrant·es en général. C’est ce que j’ai fait lors de ce rassemblement en solidarité avec le peuple ukrainien, contre l’agression de Poutine. Donc, dans la plainte qu’il a déposée, Aliot m’accuse d’avoir à cette occasion, je cite : « injurié la commune de Perpignan, prise en la personne de son maire en exercice Louis Aliot, en l’espèce en tenant les propos suivants « les réfugiés ukrainiens n’ont pas grand-chose à attendre des fascistes » ». Et, fin octobre, j’ai, en conséquence, reçu ma mise en examen.

Mais, de la part de Louis Aliot, il y a bien un calcul politique : il aurait pu se contenter de laisser faire l’oubli

Oui, et le calcul politique est à plusieurs niveaux. Il a fait voter, disons endosser, sa plainte par son conseil municipal, lors de sa séance du 24 mars. Et c’est bien cette « injure à corps constitué » que son opposition de droite – d’ailleurs la seule opposition au conseil municipal – a refusé d’assumer, expliquant que les propos relatés dans la presse ne le visaient qu’en tant que dirigeant d’un parti et qu’il était hors de question que la commune assume les conséquences financières d’un procès qu’ils pensaient perdu d’avance. Donc, de ce côté, on peut dire qu’Aliot a échoué dans sa tentative de faire un bloc autour de lui contre la gauche militante.

Mais il y a un autre calcul politique, je dirais bien plus grave. Je pense qu’Aliot a saisi là une occasion, au-delà de ma personne, de s’attaquer aux « islamo-gauchistes ». L’article me présente comme militante du NPA. Mais, outre mon engagement syndical, je suis aussi une porte-parole d’un collectif qui combat le révisionnisme de l’extrême droite et de la droite extrême locale à l’égard de la Guerre d’Algérie. Les honneurs rendus récemment par Aliot aux généraux putschistes Zeller et Jouhaux et au criminel terroriste de l’OAS Pierre Sergent ont été assez bien relatés par la presse, même nationale. Tout comme les mobilisations et protestations que nous avons organisées. Je suis aussi connue localement pour le combat antiraciste, présidant une association de solidarité avec les migrants, association que, justement, Aliot a dans le collimateur. Il y a quelques années, alors qu’il était dans l’opposition au conseil municipal, il a même dénoncé publiquement notre association, disant que dans nos cours, nous n’enseignons pas seulement le français. Une insinuation qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer, je suppose…

Le calcul politique – pour reprendre le terme – c’est bien d’intimider, de faire taire, celles et ceux qui, et tout particulièrement à gauche, s’opposent à sa politique, à la politique ultra-réactionnaire de l’extrême droite. On sait le cas que l’extrême droite fait de la démocratie. Surtout quand elle en a les moyens, quand elle arrive au pouvoir.

Tout de même, c’est une occasion de te demander comment vous comprenez les succès politiques du RN : la municipalité, les députés, etc.

Ce qui s’est passé et ce qui se passe à Perpignan est significatif de la façon dont l’extrême droite peut remporter de tels succès. Je vais donc en rester à Perpignan pour essayer de répondre, de manière la plus concrète possible, à ta question.

Aliot l’a dit et écrit lui-même : il veut faire de Perpignan – je le cite – « une ville exemplaire qui montre la voie du redressement [national] ». Il a appliqué la politique actuelle du RN de « dédiabolisation ». Et avec un succès que, aux municipales, ce parti n’a pas connu dans d’autres capitales départementales. La seule ville de plus de 100 000 habitant·es dont l’extrême droite a pu s’emparer aux dernières municipales. Précisons que la « dédiabolisation » s’adresse essentiellement à une partie de la droite institutionnelle et, derrière elle, à la bourgeoisie : montrer sa capacité à gérer le « Système », selon le mot employé par Aliot et l’extrême droite. Aliot a su, ici, séduire une partie de la bourgeoisie locale et de ses notables. Et aussi la petite-bourgeoisie, notamment commerçante, et particulièrement dans le centre-ville, qui se reconnaît facilement dans les discours hyper-sécuritaires de l’extrême droite, dans sa dénonciation des « charges », des impôts, des « gros », etc. qui écrasent les « petits ». Une petite-bourgeoisie qui, jusque-là, votait plutôt à droite…

Louis Aliot, tout comme le tente son parti aujourd’hui à l’échelon national, a su profiter d’une crise de la droite locale, l’ancien maire ayant réussi à monter contre lui une partie de ses partisan·nes. En même temps, Aliot a eu le soutien électoral de certaines couches dans certains quartiers populaires, sensibles – on le sait ailleurs aussi – au discours social démagogique du RN/FN, mais aussi à son discours raciste flattant les « petits-blancs ». Il faut dire également que Perpignan, comme le reste du département, est ravagé par la misère, la précarité et le chômage. Et une certaine désespérance, une désespérance certaine. Tout cela lui a permis de constituer derrière lui un bloc social, socialement hétérogène, qui lui a permis de remporter Perpignan. Ce que tente, je le répète, son parti à l’échelle nationale.

Perpignan montre aussi une autre raison, que l’on retrouve à l’échelle nationale, du succès du RN/FN, et ce n’est pas la moindre : l’absence d’alternative à gauche qui soit à la fois crédible et réellement à gauche. Perpignan en est même une caricature : la gauche, même au sens disons large, est totalement absente du conseil municipal. Pas un·e seul·e élu·e depuis 2014. Le fruit de la division, des reniements, des compromissions, des trahisons des programmes et des espoirs… Une brutale leçon de chose pour la gauche de combat anticapitaliste que nous avons à construire.

Quels objectifs sont déjà fixés pour la campagne de solidarité ?

Je rappellerai d’abord ce qui devrait être une évidence, surtout pour notre courant politique. L’unité est essentielle dans la lutte contre l’extrême droite et ses idées ultra-réactionnaires qui polluent de plus en plus et au-delà de l’extrême droite : sa haine raciste, nationaliste, sexiste, homophobe… Sa haine du mouvement ouvrier et de la démocratie. Et cette lutte est justement partie intégrante de la construction d’une gauche qui nous manque tant aujourd’hui et qui soit fidèle à ses valeurs progressistes, contre toute forme d’oppression et d’exploitation des humains comme de la nature.

Cette unité d’action, elle n’a pas tardé ici. Je peux dire que, dès l’annonce qu’Aliot portait plainte contre moi, j’ai reçu un soutien immédiat et concret. D’abord de la CGT, de Solidaires et de la FSU. De toutes les organisations de la gauche aussi. De nombreuses associations, de particuliers, d’élu·es sur le plan local, départemental et même régional. Depuis ma mise en examen, un comité de soutien vient de se constituer, autour d’un appel et sous la présidence de Dominique Noguères, qui est vice-présidente de la LDH. D’abord, il faut consolider ce comité à l’échelle locale autour d’actions, mais avec la perspective de donner à la campagne une dimension nationale. Déjà des contacts ont été pris. Et notre campagne, à peine commencée, reçoit un bon écho.

L’objectif de cette campagne ? Évidemment la solidarité avec moi, la levée immédiate de toute poursuite à mon encontre. Mais elle est aussi, comme le dit l’appel du comité de soutien, une campagne politique pour défendre le droit d’expression, contre une tentative d’intimidation qui va bien au-delà de moi, une tentative de faire taire toute critique et toute opposition à Aliot et à son parti dont il reste, malgré sa toute récente défaite à son congrès, une des principales figures. Une campagne pour montrer le vrai visage de l’extrême droite, dire l’urgence de la combattre, et dans l’unité. Je suis confiante dans l’issue de cette campagne. Et en gagnant contre Aliot, on marquera un point, un petit point, dans notre combat, redevenu central, contre l’extrême droite et, au-delà, contre toutes les dérives autoritaires.

La solidarité s’organise !

Nous exigeons la levée immédiate de toute poursuite à l’égard de Josie !

Comité de soutien à Josie Boucher