La fin de l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) est annoncée. Celles et ceux qui en bénéficiaient vont se retrouver au RSA. Il s’agit de modifier la gestion de la précarité par France Travail pour mieux la soumettre aux besoins en main d’œuvre des entreprises. Ceci, en partant de l’idée bien ancrée qu’il faut contraindre les sans-emploi à reprendre le travail.

Suppression de l’ASS : transformer les chômeur·euses en cas sociaux

Par Étienne Adam, le 5 février 2024

Dans la logorrhée verbale d’Attal sur les « classes moyennes », le travail qui doit payer plus que l’assistance, comme dans le reste du discours, il y a peu de mesures concrètes. On sait, depuis les paroles de Lemaire sur les vieux chômeurs, ceux de Macron sur le durcissement de l’indemnisation chômage, que le gouvernement va poursuivre sa politique anti-sociale de chasse aux pauvres.

La seule disposition concrète indiquée est la fin de l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) : celles et ceux qui ont l’ASS vont se retrouver au RSA.

Cette mesure ne peut se résumer à une simplification administrative de bon sens : le même régime d’indemnisation pour des sans-emplois de très longue durée.

Ce n’est pas une mesure d’économie des frais de gestion. Elle va « libérer » l’UNEDIC de la gestion de l’ASS, mais ça ne représente que 6 % des indemnisé·es. Par contre, les conseils départementaux et les CAF vont avoir plus de travail alors qu’ils sont déjà débordés. Il va falloir contrôler les déclarations de ressources RSA tous les 3 mois contre 6 mois pour l’ASS (charge supplémentaire de l’ordre de « 2,1 milliards d’euros » pour les départements). De plus, le gouvernement prétend réduire les non recours au RSA (aujourd’hui entre 30 et 40 %).

Financièrement, les personnes ne sont pas perdantes : le RSA est supérieur à l’ASS et ouvre droit à plus de prestations sociales des collectivités locales.

On ne peut trouver d’explication financière à cette mesure qui risque même de coûter un peu plus cher au contribuable qui se lève tôt pour aller travailler.

Il s’agit de modifier la gestion de la précarité par le monstre bureaucratique France Travail pour mieux la soumettre aux besoins de la gestion de la main d’œuvre des entreprises. Ceci, en partant de l’idée bien installée qu’il faut contraindre les sans-emploi à reprendre le travail (surtout quand il s’agit de boulots « de merde » qui ne permettent pas de vivres décemment).

Pour en prendre la mesure, un rappel historique s’impose.

La lente agonie de l’assurance chômage

L’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS) est une allocation pouvant être versée aux personnes ayant épuisé leurs droits à bénéficier de l’assurance chômage, soit 250 000 personnes au 3ᵉ trimestre 2023.

C’est la montée d’un chômage de masse et celle de la durée au chômage (entraînant des arrêts de droits) qui a conduit le gouvernement à créer, en 1984, l’ASS financée par le Fonds de solidarité, établissement public administratif sous tutelle du ministère du Travail, financé par la « contribution de solidarité » de 1 % des rémunérations prélevée à la source par les employeurs des fonctionnaires et agents publics.

C’est une première entorse au principe de l’assurance chômage financée par les cotisations sociales qui ne concerne en 1984 que 96 000. Syndicats et associations de chômeurs ont d’ailleurs dénoncé cette atteinte au système assurantiel voulue par un patronat qui depuis refuse toute augmentation des cotisations (il s’agit d’un transfert des cotisations vers l’impôt).

L’ASS est un droit (sous réserve de conditions de ressources comme toute aide sociale) qui maintient des droits à la retraite, comme les allocations chômage, droit ouvert à des salarié·es ayant eu cinq ans d’activité salariée au cours des dix ans précédant le chômage. La précarisation des contrats de travail rend difficile, pour les contrats les plus précaires, l’accès à l’ASS ce qui explique que le nombre de personnes à l’ASS n’explose pas avec les réductions de droits en durée de ces dernières années.

Toujours suite à la montée du chômage de masse et aux exclusions qu’il entraîne est créé, en 1988, le RMI (revenu minimum d’insertion) dont la gestion est confiée par l’État aux conseils généraux en 2003. Ce minimum social est déconnecté du travail – aujourd’hui seule une partie des RSA sont inscrit.e à Pôle Emploi – même s’il est soumis à des obligations d’« insertion » de plus en plus dures avec sa transformation en RSA en 2009.

On aboutit aujourd’hui – avec la loi dite plein emploi – à l’inscription obligatoire des bénéficiaires du RSA (et de leur conjoint·e) comme demandeurs d’emploi, contraint·es, sous peine de radiation, à accepter n’importe quel emploi (et une activité obligatoire de 15h/semaine).

La disparition de l’ASS signifie le refus de reconnaître le chômage de très longue durée et celui qui échappe aux conditions de plus en plus restrictives d’accès aux allocations. Une personne en ASS restait un·e chômeur·euse (symboliquement, mais aussi dans les statistiques), ce qui n’est pas le cas avec celles inscrites au RSA. Avec la poursuite de la démolition de l’assurance chômage, on peut vite faire baisser les statistiques (en particulier du chômage de longue durée dont il est plus difficile de sortir). Aujourd’hui, seuls 41 % des demandeurs d’emploi sont indemnisés ; en catégorie B et C (travaillant à temps partiel et contrats courts), la proportion de chercheurs d’emploi indemnisés atteint les 34%.

Cette politique crée une segmentation et une division supplémentaire chez les chômeur·euses selon les nivaux de privation d’emploi. France Travail va devenir le guichet unique, mais de populations de plus en plus diversifiées.

La réponse du gouvernement, c’est l’accompagnement personnalisé, mais sans droits pour les précaires de choisir leur avenir et sans un revenu minimum qui permette de vivre et non pas de survivre. L’accompagnement ne peut être, comme aujourd’hui, que contrôle, sanctions… et enfermement dans la précarité.

La constitution, dans son préambule, définit le principe d’un droit égal pour toutes et tous devant les difficultés de la vie sociale (art 11) : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »

La création de l’assurance chômage concrétisait ce droit et fixait ces moyens convenables par une référence au salaire1CGT et CFDT demandaient que le minimum d’allocation soit au SMIC. Aujourd’hui, la loi fixe les moyens convenables d’existence à un peu plus de la moitié du seuil de pauvreté quand les patrimoines et les hauts revenus s’envolent.

Il n’y aura pas de vraie lutte contre la pauvreté sans s’en prendre aux inégalités de revenus et de patrimoines, sans faire contribuer les 5 % les plus riches.

Mais il ne suffit pas de redistribuer des revenus et patrimoines multipliés par 3 ou 4 dans les années libérales.

Il faut construire un système qui garantisse les revenus tout au long de la vie et de ses accidents de parcours. Des propositions dans ce sens existent depuis longtemps, il est plus que temps de les mettre en débat comme priorité.


Pour compléter, vous pouvez lire sur notre site : Nouveau statut du travail salarié
Notes
  • 1
    CGT et CFDT demandaient que le minimum d’allocation soit au SMIC