Le groupe PSA change de nature. C’est l’aboutissement d’un processus de plusieurs années, prévisible dans le contexte actuel de réorganisation mondiale de la branche automobile. PSA a produit en 2013 2,8 millions de véhicules au niveau mondial, ce qui en fait un acteur modeste du secteur. En dépit de ses succès en Chine, le groupe paye cher  les problèmes qui l’affectent (comme d’autres en Europe), entre baisse de la demande et suraccumulation de capital. Sa branche automobile proprement dite affiche une baisse des ventes et une perte opérationnelle. L’intervention de l’Etat en 2012 (garantie jusqu’à 7 milliards d’euros d’emprunts de la Banque PSA Finance) n’y aura rien fait. Et, comme d’habitude le capitalisme tente de surmonter sa suraccumulation cyclique par de la destruction de capital (fermeture d’Aulnay par exemple). Mais, le mal est plus profond et tout cela n’a pas suffi pour PSA.
Retard à l’allumage
La globalisation productive modifie l’environnement concurrentiel des firmes. La conquête de nouveaux marchés va sans dire mais répond aussi à la recherche d’économies d’échelle.  Inexorablement cette dynamique soulève la question  des partenariats, des alliances ou des fusions. Elle accélère le mouvement  séculaire de concentration du capital, a fortiori dans une branche hautement capitalistique, c’est-à-dire dévoreuse de capitaux à long terme. Il faut injecter du capital avant de penser en économiser par des effets de taille.
L’équation est finalement assez simple. Un retard à l’allumage en matière d’ambition mondiale limite les éventuelles économies d’échelles et place l’entreprise en position défensive, en termes de marges, vis-à-vis de ses concurrents les mieux placés (taille critique et « guerre des coûts »). Mais, un pas stratégique  supplémentaire au niveau mondial nécessite de trouver de nouveaux capitaux. Dans l’alliance Renault-Nissan, nouée en 1999, Renault a apporté 5 milliards d’euros dans Nissan.
Trois grands constructeurs mondiaux surpassent, pour le moment, ces contraintes en raison de leurs tailles, Toyota (10 millions de véhicules vendus), GM et Volkswagen. Tous les autres, à commencer par les constructeurs chinois, y sont définitivement poussés.  L’« italien » Fiat vient de franchir un pas en prenant le contrôle définitif de Chrysler (un peu de 4 millions de véhicules au total). Le très « français » Renault a lui aussi entrepris ce virage. En s’alliant avec Nissan, en acquérant Dacia, Lada et Samsung Motors, en croisant un peu de capital avec Daimler, Renault a au moins franchit une première étape qui en fait un groupe mondial (Au-dessus de 8 millions de véhicules, 4ème rang). Le profit n’est-il pas aujourd’hui la péréquation des marges réalisées sur tous les continents, ce qui permet de lisser le risque de marché ? Le groupe Renault doit maintenant se trouver une solution structurelle  en Chine qui aille au-delà de simples partenariats. Cette étape apportera le chaînon manquant pour faire de Renault un groupe définitivement « apatride » n’en déplaise à Arnaud Montebourg.
Or, PSA n’a pas eu cette trajectoire. Pour de nombreuses raisons sans doute, mais dont une est certainement cruciale : le contrôle familial. Chez Renault, le seul frein potentiel aurait pu être l’Etat français. Il n’en fut rien. Chez PSA, c’est le château familial avec ses divergences, ses illusions, ses intérêts qui, à force de trainer les pieds pour ne pas dissoudre son contrôle, s’est retrouvé dans une impasse complète. Car, le besoin en capital du groupe PSA pour se doter d’une capacité offensive impliquait une alliance capitalistique, une entrée de capitaux modifiant la répartition des droits de vote. C’est de plus une histoire connue : les dividendes, que l’on a versés quand tout semblait aller bien, manquent le jour où il faut changer de braquet, et les banques ne suivent plus quand elles détectent la spirale récessive de la firme !
Sans pitié !
L’inénarrable Montebourg vient de l’affirmer : PSA reste un groupe français. Ben tiens, c’est tellement important de savoir si c’est français ou rastaquouère, n’est-ce pas !  Ah, cette nostalgie des champions nationaux,  des « vrais » industriels bien de chez nous, des prédateurs tricolores…
Pour le moment, le projet donnerait 14% du capital à chacun des trois protagonistes, la famille (qui perd ses droits de vote doubles), l’Etat et le chinois Dongfeng. Le reste allant majoritairement au marché boursier. L’honneur est donc sauf pour notre ministre patriotique. Mais nous n’en sommes qu’au début du processus. Notons déjà que la holding familiale, FPP, est sérieusement ébranlée par ce qui vient de se passer. La roue tourne et ses projets financiers  peuvent l’amener un jour à se désengager un peu plus de PSA. De même pour l’Etat sous contrainte de ses déficits et de ses besoins financiers. Pour Dongfeng, par contre, l’avenir est plus rose. Deuxième constructeur en Chine, ce groupe va maintenant disposer d’une porte d’entrée sérieuse sur le marché européen grâce à son arrivée dans PSA. Si l’on ajoute à cela le fait qu’il a également mis en place un fort partenariat avec… Renault en Chine-même, on devine que ses actionnaires vont désormais afficher de fortes ambitions sur le vieux continent. Plus généralement, on voit mal comment la réorganisation de l’industrie automobile mondiale peut se faire sans la pénétration commerciale des constructeurs chinois en Europe. Pour surmonter cette concurrence, les groupes historiques ont intérêt à les intégrer dans leur capital.
Cela peut sauver PSA. Mais cela place la marque au Lion dans un environnement industriel et capitalistique très nouveau. Donfeng en devenant actionnaire n’a sans doute pas l’intention de rester indifférent aux pertes actuelles, ni de laisser l’organisation industrielle du groupe en Europe dans sa situation actuelle. Il peut apporter quelques modèles sur les chaînes européennes de PSA pour en améliorer la rentabilité mais il peut aussi demander à ce que tout soit remis à plat. Tout cela apparaîtra progressivement.
Le cas PSA restera donc un cas d’école sur l’évolution d’une branche industrielle dans la mondialisation. Nous sommes bien loin d’une simple question de coût du travail comme on nous le raconte souvent ! Les besoins dominants du capital s’imposent à toutes les grandes entreprises. Le capitalisme est sans pitié.
Claude Gabriel