La financiarisation gangrène tous les services publics. La volonté de mettre fin aux acquis sociaux de 1945 s’applique aussi dans les domaines de la psychiatrie. La « santé mentale » devient un nouveau marché avec ses plateformes d’appel. Il en résulte la mise en crise des métiers du soin.

Précarité, soins, exclusion : Quelle place pour « une psychiatrie sociale » ?

Par Jean-Pierre Martin. Le 23 mars 2025.

Les politiques de financiarisation gangrènent tous les services publics.

L’accès aux soins du sujet en souffrance psychique n’y échappe pas. La financiarisation – par ses restructurations en psychiatrie – ne laisse aucune place à la citoyenneté et à la subjectivité sociale de la personne. Forme de domination d’un marché capitaliste globalisé, elle accélère la transformation en marchandise de toute activité de soin, d’éducation et de protection sociale1Ainsi l’hôpital public est restructuré en permanence par une gestion qui repose sur une dette insoutenable. En effet, depuis 2002 la mise en place de l’euro et de la Banque centrale européenne a retiré la possibilité pour les hôpitaux d’emprunter auprès de la Caisse des dépôts avec des intérêts très bas et des délais de remboursement qui pouvaient aller jusqu’à 60 ans. Les emprunts se dont donc faits auprès des banques commerciales avec des taux d’intérêts qui ont pu atteindre près de 20 %, des emprunts dits toxiques. Le résultat est de ce fait aujourd’hui catastrophique. Dans l’ensemble de l’hospitalisation et de l’accès aux soins. . Elle conforte toutes les tentatives du patronat de mettre fin aux acquis sociaux de la Sécurité sociale de 1945.

Remise en cause des acquis

Moment de conquêtes sociales, 1945 est marqué, en psychiatrie, par l’essor de la psychothérapie institutionnelle. Cette dernière est née à St Alban durant la guerre (François Tosquelles). L’idée de secteur public de psychiatrie date de cette époque (Lucien Bonnafé).

Sa remise en cause asilaire est aujourd’hui celle de tous ses acquis que sont :

  • les acquis en 1968 d’une discipline psychiatrique, science de la subjectivité acquise, des apports de la psychanalyse et de la phénoménologie dans toutes les pratiques alternatives du soin développées depuis à l’hôpital,

  • la politique de secteur public de psychiatrie comme implantation sur des territoires citoyens,

  • le rapport Demay de 1982 et sa proposition d’une politique de secteur basée sur des établissements locaux de santé mentale.

L’annonce gouvernementale d’une « santé mentale grande cause nationale »  laisse donc présager une transformation radicale de la « santé mentale » conçue comme besoin social de reconnaissance du soin psychique par un service public.

En effet, elle va se trouver remise en cause par le management public-privé du secteur public. Elle va devenir un nouveau marché du soin avec ses plateformes d’appel. Elle ne sera plus basée que sur le dépistage du symptôme fonctionnel et comportemental.

La création de « mon soutien psy » en 12 séances en est la caricature. La déshumanisation du soin qui en résulte s’appuie sur le retour au seul neurocomportemental évaluable. On sait pourtant qu’il réduit le traitement aux médications immédiates du symptôme et non aux maladies psychiques. La pratique clinique n’est plus déterminée par les équipes soignantes.

La pédopsychiatrie ciblée

La pratique du tri du soin psychique concerne particulièrement la pédopsychiatrie. Celle-ci traite du sujet social à éduquer et construire alors qu’il est aujourd’hui objet de répression comportementale. Se profile la destruction néolibérale de la spécialité psychiatrique comme soins de la subjectivité. Elle se voit remplacée par une politique fonctionnelle de la réussite sociale dès l’enfance.

L’ensemble s’inscrit dans un sécuritaire médicalisé et comportemental dès le plus jeune âge. Sa mise en œuvre a commencé sous Sarkozy avec la loi du 5 juillet 2011. Associée à une garde à vue psychiatrique de 72 heures, la loi a inauguré le tri de symptômes référés à leur risque de dangerosité avec des pratiques de contention pour toute agitation.

Les métiers du soin en crise

Il en résulte la mise en crise des métiers du soin, la remise en cause d’une psychiatrie humaniste et égalitaire pour tous et un manque de motivation à s’y engager. Les soignants et soignantes ne savent plus le métier qu’ils font. Le tri d’accès aux soins laisse de côté les populations les plus fragiles, adultes, enfants, adolescents ou personnes âgées

Ce refus du sujet social dans une série de crises sociales majeures réactualise ce que Michel Foucault a nommé discours médical de « biopouvoir ». Il est référé à l’anormalité du fou par nature et à son exclusion de la vie sociale pour sa supposée dangerosité.

Il s’accompagne d’un populisme pénal2 Denis Salas, Décembre 2010,  Essai (Poche) La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal dans une période de montée des idées d’extrême-droite qui s’applique également au rejet des migrants exilés et réfugiés. La CNDA et l’OFPRA ont ainsi renvoyé dans leur pays deux personnes schizophrènes pour leur dangerosité potentielle et toute agression violente est référée au terrorisme.

Comment résister ?

Comment se ressaisir de la reconnaissance des droits du sujet humain, du fou et de son traitement tant médical que juridique face à la précarisation et à la déshumanisation ? Le nouveau facteur est la sensibilité d’une part importante de la population à ces effets sur la santé mentale et nombre d’élus et d’associatifs gardent le souvenir des pratiques communes.

Une autre psychiatrie engagée aux avant-postes de la prévention et des soins en direction des populations les plus précaires est centrale face à ce nouvel ordre asilaire jusqu’au domicile3L’enjeu clinique et social alternatif reste pour moi l’expérience un centre d’accueil ouvert 24h sur 24 à Paris, constitué dans une dynamique institutionnelle de secteur public de psychiatrie du service de soin en lien avec les élus et les services sociaux locaux et les associations, Sans rendez-vous préalable de toute personne dans le sentiment d’urgence psychique, l’accueil d’une équipe infirmière en responsabilité thérapeutique élargie avec des médecins est l’écoute relationnelle vers un soin possible à déterminer et dans quel lieu (dispensaire et si besoin d’une hospitalisation), mais aussi sur place 24h sur 24 ses repas en commun et cinq lits d’accueil autorisés par la caisse régionale d’assurance maladie. Le projet et sa réalisation sont l’enjeu social d’une crise du sujet dans celui d’un social en crise qui va rapidement être intégré par les acteurs sociaux et médicaux du centre de Paris et source de déplacements vers un domicile ou la rue..

L’urgence est donc de reconstituer un réel accueil inconditionnel humain sur le secteur psychiatrique et son hospitalisation. La question du social participe d’une pratique clinique d’émancipation de l’humanité du fou. Son expérience avec d’autres acteurs du social et du politique reste un acquis à faire vivre.

Notes
  • 1
    Ainsi l’hôpital public est restructuré en permanence par une gestion qui repose sur une dette insoutenable. En effet, depuis 2002 la mise en place de l’euro et de la Banque centrale européenne a retiré la possibilité pour les hôpitaux d’emprunter auprès de la Caisse des dépôts avec des intérêts très bas et des délais de remboursement qui pouvaient aller jusqu’à 60 ans. Les emprunts se dont donc faits auprès des banques commerciales avec des taux d’intérêts qui ont pu atteindre près de 20 %, des emprunts dits toxiques. Le résultat est de ce fait aujourd’hui catastrophique. Dans l’ensemble de l’hospitalisation et de l’accès aux soins.
  • 2
    Denis Salas, Décembre 2010,  Essai (Poche) La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal
  • 3
    L’enjeu clinique et social alternatif reste pour moi l’expérience un centre d’accueil ouvert 24h sur 24 à Paris, constitué dans une dynamique institutionnelle de secteur public de psychiatrie du service de soin en lien avec les élus et les services sociaux locaux et les associations, Sans rendez-vous préalable de toute personne dans le sentiment d’urgence psychique, l’accueil d’une équipe infirmière en responsabilité thérapeutique élargie avec des médecins est l’écoute relationnelle vers un soin possible à déterminer et dans quel lieu (dispensaire et si besoin d’une hospitalisation), mais aussi sur place 24h sur 24 ses repas en commun et cinq lits d’accueil autorisés par la caisse régionale d’assurance maladie. Le projet et sa réalisation sont l’enjeu social d’une crise du sujet dans celui d’un social en crise qui va rapidement être intégré par les acteurs sociaux et médicaux du centre de Paris et source de déplacements vers un domicile ou la rue.