Le syndicalisme et les gauches négligent la santé au travail comme objet de lutte. Le silence à ce sujet est lié à l’acceptation de l’individualisation du phénomène, au recul du collectif. Étienne Adam invite, au contraire, à socialiser-politiser la souffrance au travail, à en faire un objet de luttes collectives.

Souffrance au travail : un sujet politique

Par Étienne Adam. Le 5 octobre 2024.

La santé au travail, objet de lutte

Pendant longtemps, les syndicalismes et les gauches ont trop négligé la santé au travail comme objet de lutte.

La différence avec l’Italie par exemple était sensible. Mais, contrairement à ce qu’un social chauvinisme nous enseignait, de nombreux pays étaient en avance. Certaines directives de l’UE étaient même plus protectrices de la santé que le droit du travail français.

Pourtant, des élu·es des CHS ont fait progresser le droit pour aboutir à l’inscription des conditions de travail dans leurs missions (création des CHSCT). Des luttes comme celles des délégués mineurs sur la sécurité dans les mines ou celles sur l’amiante par exemple ont très largement fait progresser la protection des travailleur·euses.

Celle-ci n’est toutefois jamais acquise et la suppression des CHSCT par Macron est bien le signe que, pour les néolibéraux, la santé et la sécurité au travail sont des enjeux non négligeables.

La souffrance au travail méconnue

Il est un sujet qui vient bien peu dans le débat public, c’est la souffrance au travail, du moins celle qui se traduit par un mal-être, des atteintes psychologiques…

C’est l’effet d’un certain machisme qui a idéalisé l’ouvrier dur à la tâche, l’homme de fer. Et d’une glorification du « travail » qui n’épargne pas la gauche traquant les assisté·es. C’est aussi parce que ce type de souffrances apparaît comme du domaine de l’individuel, voire de l’intime qui ne peut faire l’objet d’une bataille collective.

La reconnaissance légale du harcèlement a peu changé cette manière de voir. Les prises en charge syndicales restent trop rares et celle d’Orange est exemplaire… mais trop méconnue !

Pourtant, la souffrance psychologique n’est pas nouvelle. Dans les années 1980, des syndicats du secteur sanitaire et social avaient imposé la reconnaissance du « burn out » des travailleurs et travailleuse du social.
Depuis des années, médecins, psychologues, ergonomes et autres mettent à jour ces pathologies du travail. Le présent guide en est l’illustration la plus récente : Guide pour les travailleurs en souffrance au travail.

La législation sur le harcèlement offre des outils qui restent sous-utilisés. Trop de victimes se taisent, car elles sont culpabilisées.

Un effet de la déroute idéologique que nous subissons

Le silence de la gauche sur cette question est pour partie l’acceptation de l’individualisation du phénomène, reflet du recul du collectif face à l’individualisation néolibérale. C’est un effet de la déroute idéologique que nous subissons.

Mais c’est aussi la sous-estimation des enjeux politiques du travail, la non prise en charge politique de la vie au travail contraint.

Pourtant, cette souffrance au travail est au centre de l’exploitation capitaliste comme l’étaient, il y a presque deux siècles, les conditions épouvantables dans les fabriques dénoncées par Villermé.

Aujourd’hui, la souffrance évoquée ici est liée à l’évolution des rapports concrets de production, des conditions de travail avec une place particulière à cette nouvelle forme de « discipline de fabrique » qu’est le « management par les nombres », le contrôle numérique…

De nombreuses études mettent en cause, dans le cadre de cette déshumanisation des rapports de travail, les effets pathogènes des injonctions contradictoires que subissent les salarié·s. Les discours sur (et l’aspiration des salarié·es à) l’investissement personnel, la motivation et l’autonomie se fracassent sur les objectifs financiers des actionnaires.

Il ne faut pas sous-estimer le nombre de salarié·es qui pourraient se retrouver dans un combat contre ces managements nocifs.

C’est pour cela que tout ce qui peut contribuer à socialiser-politiser la souffrance au travail, à en faire des luttes collectives doit être soutenu par les organisations politiques.

Il faut faire connaître autour de nous ce site : Souffrance et travail

Un livre utile  est téléchargeable en PDF par un simple clic :

Travailler à armes égales de Marie Pezé, Rachel Saada et Nicolas Sandret