La situation en Syrie soulève de nombreuses questions. Il y a un évident regain d’espoir. Mais quelles possibilités d’accès à la liberté, à la justice et à la souveraineté proprement dite ? Quelle protection des droits des différentes communautés ? Nous avons opté pour la mise à disposition d’éléments d’analyse.

Une situation nouvelle en Syrie

Par Jean-Marie Fouquer. Le 15 décembre 2024.

La chute de Bachar al-Assad, tyran sanguinaire, a été une très bonne nouvelle. Elle était espérée depuis des années, mais la population avait perdu l’espoir de voir le régime d’Assad s’effondrer. Mesurons ce que représentent 54 années de dictature et de violence contre sa population ! Cette chute a été vraiment inattendue, et de plus, particulièrement rapide.

Les interrogations sont donc multiples. D’une part sur ce qui a permis un effondrement si rapide. D’autre part sur le devenir du pays.

Comme nous l’écrivions il y a peu1Bachar al-Assad est tombé : « Rien ne préjuge des possibilités offertes d’accéder à la liberté, à la justice et à la pleine souveraineté nationale. Ni au respect des droits des diverses communautés, en particulier les droits des Kurdes, que le régime turc profitant de la situation met en grave danger, notamment en attaquant la ville de Manbij. »

Nous avons donc fait le choix, dans cet article, de mettre à la disposition de toutes et tous diverses analyses, des témoignages et des documents. Nous vous y renvoyons, en fournissant les liens pour ne pas alourdir cet article. Nous espérons que, de ces points de vue variés, émergeront non pas des certitudes, mais, à tout le moins, des éléments de réflexion utiles et des perspectives pour le soutien qui sera indispensable.

La chute du régime

Premier point de vue sur la chute du clan Assad, celui de Ziad Majed2Ziad Majed, politologue, auteur de Syrie, la révolution orpheline et de Dans la tête de Bachar al-Assad aux éditions Actes Sud . Il a participé à « La Midinale » de Regards, le 9 décembre.

En réponse aux questions, il commence par expliquer comment a pu se produire la chute du régime. Pour lui, « Ceux qui ont renversé Bachar al-Assad sont les enfants des villages martyrisés par le régime ».

Il insiste sur le fait que le bagage culturel, social et idéologique des diverses composantes de la rébellion est très varié. Cela explique la grande hétérogénéité de l’alliance.

Il rappelle à quel point la lutte pour la démocratie a irrigué la société syrienne depuis 1970. Un potentiel important a heureusement subsisté malgré les multiples et terribles répressions du pouvoir. C’est un espoir pour l’avenir.

Pour sa part, Joseph Daher – chercheur et militant syrien de la IVe Internationale – explique, lui aussi – dans une interview en vidéo pour Inprecor « après la chute d’Assad » – comment l’effondrement de la dynastie Assad a été possible.

Il donne des indications sur les forces qui ont permis le renversement du tyran. Il en profite pour dissiper les illusions qui pourraient avoir cours sur Hayat Tahrir al-Cham3Hayat Tahrir al-Cham (en français, Organisation de libération du Levant) (HTC) en particulier. Il y décrit aussi les défis qui sont posés aux groupes progressistes et démocratiques syriens.

La société syrienne est, de fait, traversée actuellement de sentiments complexes et ambivalents. D’un côté, les réactions des Syriens à travers le monde – et en Syrie même – témoignent de leur joie, de leur surprise et de leur soulagement. Beaucoup de Syriens cherchent d’ailleurs déjà à retourner en Syrie depuis la Turquie ou le Liban.

Cependant, il est clair que la majorité des Syriens est également préoccupée par ce qui va se produire. Ils s’interrogent sur la façon dont la situation va évoluer, malgré les déclarations rassurantes du premier ministre du gouvernement de transition. Il faut rappeler que certains participants à la révolution ont été eux-mêmes victimes de persécutions de la part de HTC ou avaient été contraints de quitter le pays en raison des attaques de l’État islamique. Les individus responsables de la reconquête ne sont pas forcément ceux qu’ils auraient souhaité voir au pouvoir.

Quel avenir pour la Syrie ?

Dans un article de The Conversation du 12 décembre, « Après la chute de Bachar Al-Assad, quel avenir pour la population syrienne ? » Laura Ruiz de Elvira politiste spécialiste de la Syrie (CEPED-IRD) – donne à son tour un certain nombre d’éléments sur l’état d’esprit de la population. Elle rappelle à l’occasion la grande diversité religieuse et ethnique du pays.

En réponse aux questions sur l’avenir de la Syrie, elle insiste sur l’évolution de la société syrienne depuis la révolution de 2011, mais reste prudente sur qui peut advenir. Son texte est, de plus, enrichi de vidéos. Certaines illustrent la chute du clan Assad. D’autres évoquent le rôle des États-Unis ou d’Israël.

Pour sa part, Joseph Daher revient – cette fois dans une longue interview, à nouveau dans INPRECOR, intitulée « Comprendre la rébellion en Syrie » – sur les événements ayant conduit à la chute du régime d’Assad.

Il y analyse les forces en présence et montre les difficultés qui attendent les forces progressistes. Comme il le dit : « Il n’y a pas de réponse évidente, mais davantage de questions. La lutte par en bas et l’auto-organisation seront-elles possibles dans les zones où le régime a été chassé ? Les organisations de la société civile […] et des structures politiques, alternatives, démocratiques et progressistes seront-elles en mesure de s’établir, de s’organiser et de constituer une alternative politique et sociale à HTC et à l’Armée Nationale Syrienne (ANS)4Armée nationale syrienne ? L’étirement des forces de HTC et de l’ANS laissera-t-il un espace suffisant pour s’organiser au niveau local ? ».

Toutefois, il fait preuve d’optimiste : « Cela dit, il y a de l’espoir : alors que la dynamique clé était initialement militaire et menée par HTC et l’ANS, ces derniers jours ont donné à voir des manifestations populaires de plus en plus fortes et des gens qui sortent dans les rues à travers tout le pays. Ils ne suivent pas les ordres de HTC, de l’ANS ou d’autres groupes d’opposition armés. Il y a maintenant un espace, avec ses contradictions et ses défis comme mentionné précédemment, pour que les Syriens essaient de reconstruire une résistance populaire civile à partir de la base et des structures alternatives de pouvoir. »

Par contre, Gilbert Achcar, semble moins optimiste quand il se demande, dans sa tribune, « Où va la Syrie ? ». Pour lui : « Le premier constat est que la possibilité que toutes ces fractions acceptent de se soumettre à une seule autorité est quasi nulle, même si l’on met de côté le mouvement kurde en se limitant aux fractions arabes. ». Il rappelle aussi le fait que « les habitants de la région d’Idlib eux-mêmes ont manifesté il y a seulement huit mois contre la tyrannie de HTC,  exigeant le renversement d’al-Joulani, la dissolution de ses appareils répressifs et la libération des détenus dans ses prisons. »

Un pays divisé

Il est donc clair que nous devrons être particulièrement attentif·ves à l’évolution de la situation, surtout en tenant compte de la diversité des forces telle qu’elle est décrite, en particulier, par Gilbert Achcar :

La Syrie est aujourd’hui divisée en plusieurs zones sous le contrôle de forces hétérogènes, voire hostiles.

Offensive de l'opposition en Syrie nov-déc 2024 © Ecrusized

Offensive de l’opposition en Syrie nov-déc 2024 © Ecrusized

Il y a d’abord le plateau du Golan occupé par Israël, où l’État sioniste a saisi l’occasion pour s’étendre dans la zone tampon qui séparait les territoires qu’il occupe et qu’il a officiellement annexés en 1981 des territoires contrôlés par le régime syrien, tandis que son armée de l’air a commencé à détruire certaines des capacités militaires clés du régime défunt afin d’empêcher quiconque lui succédera de s’en emparer. Il y a aussi la vaste zone que HTC contrôle maintenant dans le nord et le centre, mais l’étendue de ce contrôle en général, et en particulier dans la région côtière qui comprend la montagne alaouite, est très discutable. Il y a ensuite deux zones à la frontière nord sous occupation turque, accompagnées du déploiement de ladite Armée nationale syrienne (qui devrait plutôt s’appeler Armée turco-syrienne) ; une zone considérable au nord-est, à l’est de l’Euphrate, sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes dominées par le mouvement kurde, allié à certaines tribus arabes (que HTC cherchera certainement à gagner à ses côtés) sous la protection des forces américaines ; une vaste zone au sud, à l’ouest de l’Euphrate, sous le contrôle de l’Armée syrienne libre, également liée aux États-Unis et centrée autour de la base américaine d’al-Tanf à l’intérieur du territoire syrien, près des frontières avec la Jordanie et l’Irak ; et enfin, la région du sud, où les forces de la région de Deraa rebellées contre le régime d’Assad, dont certaines étaient sous tutelle russe, et les forces issues du mouvement populaire dans la région de Soueïda, se sont rassemblées pour former la Salle des opérations du Sud, qui est la fraction armée arabe syrienne la plus étroitement liée au mouvement démocratique populaire.

Un des enjeux principaux est la façon dont les Forces démocratiques syriennes – dont la colonne vertébrale est kurde – trouveront leur place au sein de la Syrie nouvelle.

Quelle place pour les forces arabo-kurdes de l’AANES ?

C’est pourquoi nous avons pris le parti de terminer cet article en signalant le texte publié par le site Kurdistan au féminin : « Mazlum Abdî : Une nouvelle ère a commencé en Syrie ». Dans cette interview, Mazlum Abdi commandant général des forces arabo-kurdes contrôlant le Nord et l’Est de la Syrie – donne des informations précises sur la situation militaire dans le nord-est. Il apporte surtout une information cruciale sur le choix qui a été fait par les forces arabo-kurdes : « accrocher le drapeau syrien sur tous les conseils, institutions et bâtiments administratifs de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie ». C’est pour elles un moyen d’affirmer « que nous faisons partie de la Syrie. En raison de l’accord des peuples syriens sur un drapeau, nous avons pris une telle décision parce que nous faisons également partie de la Syrie. »

Conclusion : tout est possible d’autant que les modifications des équilibres au sein de la région sont importantes.

Ce que dit Gilbert Achcar : « La Syrie n’est pas encore sortie de son long calvaire historique qui a commencé il y a 54 ans (avec le coup d’État de Hafez el-Assad en 1970) et s’est tragiquement aggravé il y a 13 ans (après le soulèvement populaire de 2011). » est malheureusement vrai.

À nous d’être vigilants sur l’évolution de la situation en Syrie et dans la région. Dans un contexte particulièrement instable en Syrie et au Moyen-Orient, nous devons mettre en œuvre la solidarité avec le peuple syrien et les forces progressistes et démocratiques. « Il s’agit là d’une tâche et d’une responsabilité essentielles de la gauche, en particulier en ces temps très complexes. ». La première des solidarités consiste à exiger le respect du droit d’asile pour les Syrien·nes.


Pour compléter, vous pouvez lire sur notre site :

Notes