Notre camarade Gilles Lemée a pu interviewer Kerim Kamar, représentant en France de l’AANES (Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie). Auparavant connue sous le nom de Rojava, l’entité connaît aujourd’hui des moments extrêmement difficiles. Projet démocratique, unique dans cette région, elle a besoin de soutien.
Nouvelles de l‘Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie
Par Gilles Lemée. Interview de Kérim Kamar réalisée le 13 décembre 2024.
Bonjour Kerîm, peux-tu te présenter ?
Je suis le représentant en France de l’Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie1https://www.wikiwand.com/fr/articles/Conflit_du_Rojava.
Quelle est la situation générale en Syrie et quelles sont les forces en présence ?
Concernant la situation actuelle en général en Syrie, il y a à la fois de l’espoir, mais aussi des inquiétudes et des craintes.
Des incertitudes parce que c’est un régime totalitaire qui vient de s’écrouler et aussi de la joie pour les Syriens.
Mais aussi des incertitudes dans la mesure où l’on sait d’où viennent les nouveaux maitres de Damas : ce sont des anciens de Daesh2État islamique (organisation), qui se sont transformés en HTS3Hayat Tahrir al-Cham et se transformeront peut-être demain en autre chose, on ne sait pas.
Donc c’est inquiétant dans la mesure où ils ont des groupes armés et une idéologie islamiste radicale.
Est-ce que ces gens qui ont annoncé un gouvernement de transition vont comprendre que la Syrie a vraiment besoin d’être stabilisée et que tous les syriens doivent être considérés comme citoyen à part entière, ou bien y aura-t-il de nouvelles oppositions débouchant sur des conflits violents, on ne sait pas.
Quelles actions ont mené la Turquie et l’ANS contre le Rojava ?
Il y a deux fronts en ce moment en Syrie. Le premier mené par HTS qui a pris le pouvoir à Damas. Mais il y a aussi le front mené par les mercenaires de l’État turc dans les régions du nord-est contrôlées par les FDS4Forces démocratiques syriennes au moment où je parle.
Il y a encore des attaques même si un cessez-le-feu a été décidé en interne par l’intermédiaire des Américains. Donc les FDS se sont retirées de Manbij. Mais les milices pro turques ne respectent pas ce cessez-le-feu. Il y a toujours des attaques sur le pont Qereqozax qui relie l’est et l’ouest de l’Euphrate et qui mène à Kobanê. L’objectif des Turcs et des milices, c’est d’occuper Kobané.
Où en est la résistance des FDS ?
Les FDS ont toujours montré leur désir d’une Syrie ouverte et respectueuse des droits de tous, de toutes les ethnies et confessions et de cette mosaïque extrêmement riche et qui aujourd’hui est menacée : ça aussi ça fait partie des incertitudes et des craintes des minorités ethniques, confessionnelles, communautaires : on parle des Alaouites, on parle des Kurdes, des Zoroastriens, des Yézidis, des chrétiens, c’est extrêmement riche.
Ces minorités ont toutes des raisons de craindre. Notamment quand on sait que depuis quelques jours – et c’est quand même révélateur, même si considéré comme isolé – des éléments armés s’attaquent aux magasins qui vendent de l’alcool ou s’attaquent aux femmes.
On a vu des actes de cette nature, des exactions dans la région alaouite, des personnes tuées parce qu’elles étaient de telle ou telle communauté.
Tout cela nous amène à avoir des craintes sur ce qui va se passer dans les semaines, voire les mois ou les années à venir.
Le problème en Syrie aujourd’hui, c’est qu’on est passé d’un pays qui était en quelque sorte sous influence iranienne et russe à un pays sous influence turque. Je ne suis pas certain que le pays trouve la paix tant qu’il y a ces agents-là en Syrie.
Les occidentaux, la coalition internationale et les américains notamment font pression sur les nouveaux maitres de Damas pour qu’ils défendent les intérêts de la Syrie plutôt que d’être à la solde ou à la botte des pays de la région.
Des informations ont fait état ici que Kobanê aurait été pratiquement occupé par les forces de l’ANS. Qu’en est-il ?
L’information n’est pas exacte. Mais les turcs visent Kobanê et pour nous, c’est extrêmement symbolique ainsi que pour la communauté internationale. C’est le projet de Daesh qui a été mis à mal et est tombé à l’eau avec la bataille de Kobanê qui a entrainé la chute de Daesh et dont on va fêter le 10ᵉ anniversaire en février. Les Turcs veulent absolument prendre Kobanê et tuer dans l’œuf le projet du Rojava.
Peux-tu évoquer les propositions faites par l’AANES aux différentes parties pour avancer, voire sortir de cette crise ?
L’Administration autonome a manifesté sa volonté de négocier d’abord avec les HTS. Pour l’instant, par l’intermédiaire de la coalition, des Américains. Hier[donc le 12/12], elle a annoncé officiellement avoir hissé le drapeau de la nouvelle Syrie sur les bâtiments des institutions de l’AANES. Elle a manifesté sa volonté de négocier avec les nouveaux pouvoirs en place.
Est-ce que nous allons être écoutés ? Est-ce que les pays de la région vont le permettre? Est-ce que la coalition internationale va nous soutenir jusqu’au bout dans cette voie ? Ce sont les questions que l’on se pose à ce jour.
Avec la Turquie, tout est-il au point mort ?
Avec la Turquie, il y aurait peut-être des pourparlers, mais ce n’est pas encore certain. Cela dépendra de la volonté de M. Erdoğan de comprendre qu’il y a des gens dans cet espace qui doivent être respectés et que ce n’est pas une menace contre la sécurité de la Turquie.
Voudrais-tu ajouter un mot de conclusion ?
Je peux dire qu’aujourd’hui, nous connaissons des moments extrêmement difficiles. Il faut mobiliser les opinions publiques, les instances internationales pour affirmer qu’il s’agit d’un projet démocratique et unique dans cette région : il doit être soutenu ! Ce sont des moments qui vont être décisifs pour les années à venir. Mais, peut-être, peut-on avoir l’espoir que ce projet trouve la lumière.
Merci Kerîm. Et notre solidarité pour la suite !
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