…Mais aussi des objectifs stratégiques de transformation de la société : continuer à construire un État social pour les entreprises et imposer une vision du monde.
Dans les projets du gouvernement, il est prévu la mise en place d’une agence « France Emploi » qui remplacerait les institutions actuelles chargées de l’emploi et de la formation. L’évolution des services aux chômeurs et aux chômeuses est significative de la recomposition des appareils d’État, de l’État social au libéralisme autoritaire. L’indemnisation généralisée du chômage est née en 1958, soit bien après la sécurité sociale : dès sa création le type de gouvernance anticipe les modifications que va connaître la sécu, il s’agit d’une gestion paritaire à la place de la gestion ouvrière. Ce qui permet rapidement des alliances entre le patronat et certains syndicats de salariés dont la cogestion CFDT MEDEF de la dernière période est l’aboutissement : il s’ensuit une séparation entre, d’une part, les salarié·es en emploi et, d’autre part, les chômeurs, les chômeuses et les précaires ainsi qu’un consensus autour du refus de l’augmentation des cotisations 1. La création de Pôle Emploi par Sarkozy est une première étape de l’étatisation en fusionnant un service public de l’emploi (ANPE) et l’organisme de gestion de l’assurance chômage (UNEDIC). Toutefois, la gestion de l’UNEDIC était assurée par les « partenaires sociaux » qui négociaient des conventions agréées ensuite par le ministère du Travail qui les rendaient obligatoires.
Avec la loi « choisir son avenir professionnel » de 2018, l’État s’arroge le droit de fixer par une lettre de cadrage les lignes directrices de la convention UNEDIC. Dans la pratique, il intègre l’indemnisation chômage dans les dépenses publiques qu’il faut faire baisser, elle devient donc un élément de la politique budgétaire du gouvernement 2. Comme partout, se développe le chantage à la dette pour réduire les dépenses et l’augmentation des cotisations est un débat interdit.
L’une des conséquences de cette étatisation est la réduction des droits des allocataires et l’utilisation accrue de Pôle Emploi comme outil de coercition : la loi de 2018 aggrave les sanctions et donne le pouvoir de jugement à Pôle Emploi en supprimant le contrôle des juges du judiciaire.
On a là une vraie transformation d’une institution sociale gérant la sécurité de tous et toutes 3 en outil disciplinaire d’État au service du Capital 4.
Au-delà de tous ces aspects pratiques de la segmentation des exploité·es, la poursuite de la réforme impose – renforce – une vision du monde dans laquelle il n’y a plus de solidarité, mais, au mieux, de la compassion publique vis-à-vis de populations différentes du citoyen moyen, des surnuméraires qui sont en trop dans la société et qui, de ce fait, n’ont pas les mêmes droits que les gens ordinaires 5. Les procédures de sanctions de Pôle Emploi comme d’autres organismes sociaux se font au détriment du droit des usagers : le défenseur des droits l’a dit sans susciter des réactions à la hauteur de la violence de cette ségrégation. Les réformes successives n’ont donné lieu qu’à bien peu de réactions, abandonnant les populations les plus fragiles, les plus exploitées à leur triste sort. Quand les sondages donnent une majorité de salarié·es favorables aux mesures répressives contre les chômeurs et les chômeuses, on mesure le recul idéologique depuis la période où ils et elles étaient considéré·es comme les victimes de la gestion des entreprises capitalistes.
C’est aussi oublier que la remise en cause de l’assurance chômage, partie de l’État social, fragilise l’ensemble de celui-ci, y compris la sécu et les retraites, ce qui concerne la grande majorité des salarié·es.
C’est pourquoi, dans les mobilisations à venir sur les salaires, la question du chômage et des minimas sociaux doit avoir toute se place : relever l’indemnisation chômage et les minima sociaux (qui sont devenus au fil de la précarisation le vrai salaire minimum de beaucoup) est une nécessité pour le rapport de force. Pour renforcer celui-ci, il nous fait une campagne politique de masse pour réintégrer chômeurs et chômeuses, précaires et pauvres dans le front des travailleurs, dans nos organisations et dans la gauche.
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31/08/2022
Étienne ADAM
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1 Rappelons qu’il existait des cotisations dites salariales sur les fiches de paye. Elles ont été supprimées et remplacées par une partie de la CSG, ce qui permet au gouvernement de se poser comme financeur. Ce consensus sur le montant des cotisations – un chantage du MEDEF – a eu un autre effet pervers : la séparation de l’assurance et des allocations de solidarité financées directement par l’État ou le RSA, véritable indemnisation du chômage de très longue durée, quand tous les autres droits sont épuisés ou inexistants : les organisations de chômeurs et précaires revendiquent à juste titre un régime unique d’indemnisation
2 D’ailleurs, un des objectifs de la reforme est de faire des économies de l’ordre de 1 milliard d’euros, ceci alors même que l’UNEDIC considère que les finances s’améliorent. Personne ne parle des charges indues comme les financements de Pôle Emploi par la seule UNEDIC ou le coût des emprunts financiers de l’UNEDIC pas plus que du coût du chômage partiel financé partiellement par celle-ci.
3 En application du préambule de la constitution et des déclarations des droits.
4 Sur cet aspect essentiel du rôle de l’État, pour compléter le totalitarisme du management interne aux entreprises, voir la brochure « abolir le chômage, la précarité, la pauvreté » de la commission d’Ensemble ! http://ensemble-mouvement.com/?page_id=4147
5 Comme on ne peut pas décemment les laisser mourir de faim, Macron met en place des dispositifs caritatifs d’État (les chèques pour les plus pauvres) en complément des interventions des associations sociales et caritatives sans lesquelles la famine reviendrait, ce qui ferait désordre dans la start up nation.