Les licenciements reviennent sur le devant de la scène, comme chez Michelin. Mais, la grande distribution est concernée aussi bien que les PME. La bataille contre les licenciements doit mettre en cause le patronat comme les gouvernements. C’est leur politique économique et sociale qui est à l’origine de cette situation.

Vagues de licenciement et réponses politiques

Par Étienne Adam. Le 2 décembre 2024.

Après avoir été longtemps ignorés, les licenciements reviennent sur le devant de la scène, en particulier avec des annonces comme Michelin, mais aussi d’autres sous-traitants du secteur automobile. Les fermetures d’usine avec des centaines d’ouvrières et d’ouvriers licencié·es ont un côté spectaculaire qui fait bouger les médias.

Comme le disait Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT : « les plans sociaux ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Beaucoup de restructurations en cours prennent d’autres formes, moins visibles : ruptures conventionnelles collectives, plans de départs volontaires, départs individuels, notamment dans les petites entreprises, etc. »

Un groupe comme Rocher a déjà perdu 400 emplois depuis 2019. Il veut encore se débarrasser de 300 autres en se servant d’un accord de gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP).  Prévu pour donner la possibilité aux salariés « d’anticiper et d’être encore plus acteurs de leur parcours professionnel », il permet au groupe de faire partir des salarié·es en jouant sur des départs volontaires contraints. Il dispense, en effet, d’un plan de licenciement.

La reprise post covid et des mesures d’aide au patronat (sur l’apprentissage par exemple) ont fait baisser le chômage à plein temps, mais pas la précarité. Les statistiques officielles de baisse du taux de chômage ne peuvent faire oublier l’ampleur de l’insécurité sociale : le nombre d’entrées au chômage est de 5 millions chaque trimestre.

La vague de licenciements prévus a été chiffrée par Sophie Binet1286 PSE : près de 300 000 emplois menacés ou supprimés. Ce sont, pour l’industrie, « près de 250 plans de licenciements en préparation, concernant entre 170 000 et 200 000 emplois ». C’est sans compter l’effet sur les sous-traitants et les emplois induits.

Mais le secteur de la grande distribution est aussi concerné. Auchan va supprimer 1 400 postes, soit 5% de ses effectifs au moment où son propriétaire — la famille Mulliez — empoche 1 milliard d’euros de profits.

Dans le même temps, les faillites de PME deviennent plus nombreuses…

Un capitalisme vorace

À première vue, chaque situation est différente et les suppressions d’emplois ont des causes différentes.

Dans l’automobile, c’est une crise qui a des dimensions mondiales (voir les fermetures des usines Volkswagen en Allemagne) : concurrence des produits chinois, menaces protectionnistes des USA…

Mais c’est aussi la conséquence des choix économiques des entreprises qui ont voulu verser plus aux actionnaires que d’investir pour innover dans les produits ou les modes de production. Elles ont préféré profiter de situations acquises en s’appuyant sur un lobbying (pour retarder la fin du moteur thermique par exemple).

La sous-traitance des équipementiers fournissait aux grands groupes de l’automobile une marge de manœuvre : le cas de Renault avec les fonderies de Bretagne est emblématique. Stellantis annonce réduire sa production, ferme une usine anglaise. Le limogeage de Carlos Tavares sanctionne ces choix économiques, mais rien ne dit que le prochain ne sera pas pire encore.

Comme dans d’autres secteurs, la délocalisation, l’externalisation et la mise en concurrence des sites a permis de pousser à la baisse des coûts, en particulier salariaux.

La financiarisation des multinationales conduit à exiger des taux de rentabilité hors de portée de l’augmentation de la productivité. Il s’ensuit une gestion de la main d’œuvre qui sacrifie des compétences et la « compétitivité ».

La baisse de la productivité n’est pas due aux salarié·es, mais au manque d’investissement dans la formation et/ou au développement de la précarité. Le doublement de l’apprentissage est une de cause de la baisse récente de productivité.

Conjoncturellement, les grandes entreprises ont fait le choix, pendant la période d’inflation, d’augmenter leurs marges et leurs prix pour augmenter leurs dividendes. Depuis quelques années, les rachats par les entreprises de leurs propres actions sont un moyen de plus en plus employé. Ils permettent d’augmenter les dividendes sans investissements et sans augmenter la production. Il est manifeste que des licenciements font monter les cours à la bourse.

Le discours patronal « laissez-nous baisser les coûts salariaux pour créer des emplois » est particulièrement obsolète et illusoire. Il laisse croire que le Capital peut laisser les miettes de la croissance au salariat et accepter un partage des richesses qui avait cours jusqu’aux années 70 et encore.

Depuis les années libérales, face à une croissance plus faible, le Capital veut augmenter sa part dans les richesses. Ceci, au détriment du salariat, avec une baisse des coûts salariaux directs, mais aussi des dépenses de protection sociale collective.

L’État social pour le Capital

Les politiques publiques néolibérales ont accompagné et permis au Capital de devenir de plus en plus accapareur.

D’abord, de nombreuses lois ont organisé l’affaiblissement du rapport de force en réduisant les droits des salarié.es des précaires. Le développement de la pauvreté, de la précarité, de l’insécurité sociale contribue largement à donner des armes au patronat et à rendre les luttes plus difficiles.

Au nom de la sauvegarde de l’emploi, les gouvernements successifs ont versé des sommes énormes aux entreprises. Ceci sous différentes formes : réduction de cotisations sociales, défiscalisation, CICE [crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi], crédit d’impôt recherche, aides à l’apprentissage, etc.

On ne sait où sont parties toutes ces sommes, dans quelles entreprises. Et au service de quoi ?

En 2023, Michelin a reçu 42 millions d’euros d’aides de l’État sous diverses formes. Il n’y a pas eu de contreparties en matière d’emploi. Ces sommes sont-elles passées dans l’augmentation des dividendes ?

Une note de la Cour des comptes (juillet 2023) estime à 92,4 milliards d’euros le coût des aides de l’État aux entreprises pour faire face aux crises de 2020 et 2022. Le document porte à 260,4 milliards d’euros le soutien financier total (y compris les prêts garantis et le report du paiement des cotisations sociales), soit 10% du PIB.

Les multinationales en ont tiré profit. Mais, aujourd’hui, des PME sont dans l’impossibilité de rembourser les prêts ou de payer les cotisations reportées, annonçant des faillites et des pertes d’emploi.

Le budget récessif de Barnier va encore aggraver la situation de l’emploi en réduisant les dépenses des ménages.

Mais, beaucoup plus directement, il supprime des milliers d’emplois de fonctionnaires et de contractuels. Il opère ces coupes dans ses services (Éducation nationale, travail, etc.).

Il les provoque aussi par les restrictions imposées aux collectivités. Ainsi, le président du Conseil départemental de Haute-Garonne déclare qu’il va surseoir à l’embauche de 200 postes et ne pas renouveler 500 contractuels. On connaît aussi les coupes dans la culture de la région Pays de la Loire.

Aux plans sociaux dans l’industrie et les grandes entreprises dont on parle, il faut rajouter ce qui se voit moins. Dans l’économie sociale et solidaire et dans le secteur social, 186 000 emplois sont menacés sur les 2,4 millions du secteur. C’est l’équivalent du chiffre de l’industrie annoncé par Sophie Binet.

 

La bataille contre les licenciements doit mettre en cause à la fois le patronat et le gouvernement. Elle doit mettre en cause les stratégies patronales de gestion des entreprises avec moratoire, blocage des licenciements. Elle doit aussi dénoncer la politique économique et sociale de Barnier qui continue les choix sociaux et fiscaux des gouvernements précédents qui sont à l’origine de cette situation.

Notes