Vous avez dit « un choc de compétitivité en faveur de la ferme France » ?

Proposée par 3 sénateurs L. Duplomb (LR), P. Louaud (Modem) et S. Mérillou (PS), cette « proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France » a été adoptée en première lecture par le Sénat, votée massivement par la droite et rejetée par la gauche.

Des mesures rétrogrades

Les mesures préconisées : faciliter l’achat de matériel par des crédits d’impôt (art 5), autoriser l’épandage des pesticides par drones (art 8) et le stockage de l’eau (art 15).

Elles répondent aux besoins d’une agriculture productiviste dont les rendements stagnent du fait de la destruction des agroécosystèmes. Elles répondent également aux vœux de la FNSEA, des producteurs de matériel agricole, informatique et de produits chimiques.

C’est, en dépit de précautions de langage, persévérer dans les modes de production destructeurs de biodiversité et vulnérables face au changement climatique. Il faudrait pourtant travailler avec la nature et développer une agriculture paysanne plus résiliente et respectueuse du vivant. C’est, au contraire, encourager la capitalisation des exploitations et, par là, leur concentration alors que 100 000 d’entre elles ont déjà disparu en 10 ans.

C’est aussi renforcer la dépendance du monde agricole vis-à-vis du système agro-industriel et financier quand on a besoin de multiplier les fermes autonomes à taille humaine.

La santé et la biodiversité en danger

Pour comprimer les « coûts de production », la proposition vise à « libérer » le système agroalimentaire du « carcan » qui protège les paysans, la santé des consommateurs et la biodiversité. Surtout ne pas aller au-delà, sauf motif d’intérêt général suffisant, des exigences écologiques minimales des directives européennes !

Ainsi, est levée – via l’autorisation de l’usage de drones pour « une pulvérisation de précision de produits phytopharmaceutiques » – l’interdiction de l’épandage aérien de pesticides par une directive européenne, en cours depuis 2009 (art 12).

Dans le collimateur aussi, l’ANSES (chargée de la sécurité alimentaire et donc de l’autorisation des pesticides) : l’art 13 donne au ministre de l’Agriculture le pouvoir de suspendre, par arrêté motivé, une décision de retrait de produits phytosanitaires. De plus, l’agence devra établir dans ses décisions un bilan « bénéfices risques » intégrant, outre les impacts sanitaires et environnementaux, une nouveauté, des impacts économiques ! En outre, la proposition revient sur la séparation – contenue dans la loi Egalim – entre la vente et le conseil pour ce qui concerne les produits phytopharmaceutiques. Elle revient aussi sur l’interdiction des remises, rabais et ristournes lors de la vente de ces produits.

De plus, « Les plans d’eau, permanents ou non, comme les prélèvements nécessaires à leur remplissage, à usage agricole, sont réputés répondre à un intérêt général majeur… ». Et les mégabassines deviennent légitimes !

Enfin, en réduisant les cotisations sociales – salaire socialisé – la proposition casse la solidarité construite par les travailleurs et précarise un peu plus le monde paysan.

La compétitivité avant tout

Viser prioritairement la compétitivité, c’est produire plus et moins cher que les autres. L’objectif est de gagner des parts de marché et de donner à l’agroalimentaire une place dominante dans la mondialisation. Ce, dans un contexte de libre-échange construit pour garantir les profits des multinationales et présenté comme intouchable. C’est donner à la marchandisation de l’agriculture la priorité sur sa fonction première : nourrir sainement et durablement la population, sans mettre en danger les productions des générations futures.

Cette proposition de loi répond aux vœux de l’agrobusiness et de la FNSEA. Elle contribuerait, en cas de vote par l’Assemblée Nationale, à vider un peu plus les campagnes de ses paysans, à encourager l’usage de pesticides nocifs pour le vivant, à aggraver la crise écologique.

Pour une autre agriculture

Pour une agriculture durable, paysanne, agroécologique et une alimentation de qualité, nous avons besoin de limiter la concurrence et d’en finir avec les traités de libre échange. Il faut supprimer les aides incontrôlées à un système agro-industriel qui ne laisse au paysan que 6 centimes sur un euro alimentaire, qui fait payer à la société le coût de la malbouffe et des pollutions qu’il génère. Notre priorité doit être de protéger la santé et de garder la planète habitable !

 

Le 1er juin 2023
Danièle Mauduit