Le 18 avril dernier, l’intersyndicale de Brest (CFDT, CGT, FSU, Solidaires, UNSA, Fédé B, Union Pirate), a organisé en collaboration avec la Confédération Paysanne une soirée débat sur la Sécurité sociale de l’Alimentation (SSA). Historique, témoignages et débat ont permis à chacun·e de découvrir ou approfondir ses connaissances à ce sujet.
Quand une intersyndicale débat de la Sécurité sociale de l’alimentation.
Par Jean-Louis Griveau, le 3 mai 2024
Plus d’une centaine de personnes ont participé à cette soirée, une initiative originale de la part de l’intersyndicale qui abordait ainsi un domaine peu exploré par le mouvement syndical. Une première introduction aux débats a été faite par Bénédicte Bonzi, anthropologue et autrice du livre « La France que a faim ». Résultat de cinq ans d’enquête de terrain auprès des Restos du Cœur en Seine-Saint-Denis, Bénédicte Bonzi y analyse les violences alimentaires et les effets des dispositifs d’aide alimentaire.
Historique de la question alimentaire
Son exposé a resitué la question alimentaire dans un cadre historique où, selon elle, depuis l’après-guerre, la société est traversée par deux grands mouvements contradictoires : d’une part, l’aspiration au développement des conquis sociaux (la Sécurité sociale en est le symbole) ; d’autre part, un mouvement d’industrialisation forcenée des activités par le capitalisme qui mène de longue date une offensive contre les conquis sociaux. Au final, cela aboutit à l’exclusion d’une partie de la population du droit à une alimentation de qualité, doublée d’un véritable ethnocide paysan lié à la domination d’une agriculture de type « extractiviste ». Depuis 2008, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a doublé et le chiffre ne cesse d’augmenter. De fait, l’État a fait le choix politique d’encourager l’aide alimentaire et de l’institutionnaliser au détriment d’un véritable droit à l’alimentation. Cela passe par les procédures d’appel d’offre auprès des industriels pour la mise à disposition de denrées alimentaires, la défiscalisation des dons des entreprises agro-industrielles (loi contre le gaspillage alimentaire), la loi d’orientation agricole de 2010 qui a fait de l’aide alimentaire un « débouché » comme un autre pour les productions agricoles… Ce type de politique produit des dégâts physiques et psychologiques chez celles et ceux qui reçoivent cette aide alimentaire, constitutifs de véritables violences alimentaires. Bénédicte Bonzi a conclu son propos en soulignant que, dans de nombreux territoires, des initiatives émergeaient pour se réapproprier la question alimentaire dans une perspective de transformation du système alimentaire local.
Témoignages
À la suite de l’intervention de Bénédicte Bonzi, la parole a été donnée à 3 témoins : *
- Un éleveur laitier installé en bio qui a pointé la problématique des prix qui ne permettent pas aux producteurs de vivre décemment, mais également l’importance d’installer de nouveaux paysans et l’exigence que les produits « bios » soient accessibles à tout le monde, pas seulement à celles et ceux qui en ont les moyens.
- Un militant CFDT d’une entreprise agroalimentaire qui a fait état des pressions que la grande distribution exerçait sur les fournisseurs, mais qui reconnaissait que les conditions de travail au sein de l’agro-industrie s’étaient plutôt améliorées au cours des dernières années (résultat de l’action collective des salarié·es?)
- Un syndicaliste d’un hypermarché brestois pour qui le grand public est peu conscient de ce que vivent les salarié·es de la grande distribution avec des amplitudes de travail qui vont bien au-delà des horaires d’ouverture des magasins à la clientèle (de 5 h à 21 h). Pour lui, clairement, l’amélioration des conditions de travail dans ce secteur passera par des embauches à la hauteur des besoins ; une exigence contradictoire avec la course aux profits des actionnaires.
Pourquoi la SSA
La dernière intervention a été celle de Jean-Claude Balbot, paysan retraité, membre de la Confédération Paysanne et des CIVAM (centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural). Il a d’abord rappelé le processus qui l’ont amené, avec d’autres, à s’engager dans le projet de Sécurité sociale de l’Alimentation. Le fait déclencheur a été le désarroi provoqué chez de nombreux militants paysans de voir, en 2010, inscrire l’aide alimentaire comme débouché de l’activité agricole dans le Code rural. Il y a eu une prise de conscience progressive que les circuits courts, la politique des « labels » pouvaient conduire à une impasse et que des mesures structurelles étaient indispensables. Cela a abouti, au milieu des années 2010, à engager la réflexion sur le projet de SSA à partir des besoins alimentaires de la population. Jean-Claude Balbot a ensuite repris les piliers de la SSA :
- une prestation universelle fixée à 150 € par mois et par personnes,
- un financement au travers d’une cotisation sociale,
- le conventionnement des produits et des fournisseurs,
- une gestion démocratique.
Au travers de la SSA, c’est bien d’un projet de socialisation de l’alimentation dont il s’agit. L’intervenant a insisté sur la nécessité de reprendre collectivement la main sur les politiques agricoles et alimentaires, de reconquérir un droit à la subsistance et considéré que les collectivités territoriales avaient un rôle à jouer dans ce domaine.
Le débat
Le débat qui s’en est ensuivi avec la salle a mis en évidence que des expérimentations existaient déjà et qu’on ne partait pas de rien (entre autres, les AMAP comme forme locale de socialisation). Plusieurs interventions de salarié·es de l’agro-industrie ou de la grande distribution sont revenues sur les situations au sein de leurs entreprises. La dimension hautement démocratique d’un tel projet a été pointée dans une assemblée où, pour beaucoup, il s’agissait d’une découverte.
La soirée s’est achevée par un casse-croûte en commun qui avait été préparé par les militant·es de la Confédération Paysanne.
Pour compléter, vous pouvez lire sur notre site, plusieurs articles sur la SSA :