Le 20 février 2025, le débat sur la proposition de loi d’expérimentation allant vers la SSA a clarifié les raisons de l’opposition. Danièle Mauduit rappelle qu’il s’agit d’un projet systémique articulant droit à l’alimentation, démocratie alimentaire, modèle agricole paysan écologique, droit du travail et accélération de la transition écologique.

La Sécurité sociale de l’Alimentation, pourquoi ils n’en veulent pas ?

Par Danièle Mauduit. Le 5 mars 2025.

Le 20 février 2025, a eu lieu un débat tronqué sur la proposition de loi d’expérimentation allant vers la SSA et déposée par le NFP1https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/organes/commissions-permanentes/affaires-economiques/actualites/instauration-d-une-securite-sociale-de-l-alimentation-examen-d-une-proposition-de-loi-d-experimentation. Les interventions de MM. Y. Neuder et E. Martineau, ont permis de lever un coin du voile sur les raisons profondes du rejet d’un projet alternatif systémique qui :

  • mettrait du plaisir et de la santé dans toutes les assiettes
  • remettrait de la biodiversité dans les champs…
Quels sont leurs arguments ?
Cette mesure serait trop coûteuse dans un contexte budgétaire tendu

Pourtant :

  • Dans la France en ruines de 1945, des hommes animés par un idéal de justice et d’émancipation pour le plus grand nombre ont pu mettre en place un système ambitieux de Sécurité sociale.
  • Pour renflouer les banques (2008-2009), pour accompagner les entreprises privées à but lucratif (CICE…), pour financer l’I.A. l’argent public coule à flots.
  • Les soutiens publics à notre système alimentaire s’élèvent à 67 milliards par an : 48 milliards d’euros pour soutenir le système, 19 milliards pour en réparer (partiellement) les dégâts.

Comment 30 millions d’euros sur cinq ans2C’est le financement public prévu pour soutenir les expérimentations locales dans une vingtaine de territoires pendant 5 ans seraient-ils plus que ne peuvent supporter nos finances défaillantes ?

Quant aux 120 milliards de cotisations nécessaires pour financer la SSA dans son intégralité, ce seraient des investissements décidés démocratiquement lors du conventionnement. N’oublions jamais qu’elles sont prélevées sur les richesses créées par le travail. Tout en assurant le droit à l’alimentation, ils dynamiseraient le territoire. Ils garantiraient des débouchés bien rémunérés aux producteurs et distributeurs locaux. Ils accéléreraient au moindre coût la transition écologique. Ils ne génèreraient ni dividendes, ni intérêts bancaires, seulement du mieux vivre pour le plus grand nombre.

Cette mesure serait complexe alors que l’État cherche la simplification

La simplification est devenue un mot-outil du capitalisme. Qu’est-ce que l’État veut simplifier ? Les normes qui protègent les travailleurs et l’environnement.

Pour imposer les méthodes du management privé au public, il n’a pas hésité à bureaucratiser les services publics (chefs de service formés à la gestion comptable, protocoles, appels à projets, multiplication des rapports, évaluations…)

Chiche ! Simplifions le financement du système de santé : établissons une Sécurité sociale financée par les cotisations remboursant 100 % des soins ! Ce serait cinq milliards d’économies pour un meilleur service rendu !3Nicomas Da Siva – La bataille de la Sécu

Cette mesure s’ajouterait à des mesures multiples créées pour améliorer la situation alimentaire.

En réalité, ces mesures – aide, chèque alimentaire, loi Egalim, etc. – n’ont pas encore été évaluées… Mais elles ont fait la preuve de leur inefficacité à améliorer la situation alimentaire, sanitaire, sociale ou écologique. Ces mesures limitées permettent surtout d’assurer la paix sociale au moindre coût.

Cette mesure aurait été élaborée sans travail commun avec les collectivités

C’est une plaisanterie !

Les collectivités territoriales sont dépossédées de leur pouvoir d’agir par des mesures qui sont votées par ceux-là mêmes – les députés Y. Neuder et E. Martineau – qui s’offusquent de leur participation insuffisante dans la construction de la proposition de loi. Du global au local, ils ont, en effet, voté l’AGCS4Accord général sur le commerce des services, le TCE5Traité Constitutionnel européen rejeté par le référendum de 2005 et repris en 2007 par le traité de Lisbonne et les mesures d’austérité qui étranglent les communes, les financements croisés, les baisses de recettes imposées, etc.

Enfin, les collectivités territoriales sont, avec les associations, les moteurs de la plupart des expérimentations de caisses alimentaires.

La SSA ne couvrirait pas un risque social contrairement à la Sécurité sociale

La SSA ne pourrait se réclamer de la Sécurité sociale qui ne couvre que des risques sociaux comme la maladie alors que tout le monde mange. Cependant, les naissances et la vieillesse ne sont pas des accidents malencontreux et imprévisibles, mais la société les prend en charge collectivement.

Le risque social est celui, créé par l’organisation de la société en dehors de la responsabilité de l’individu. Il doit donc être assumé par la société. Et comme la santé, l’alimentation est un bien commun.

Or, la précarité économique, à l’origine de la précarité alimentaire, dans un pays riche, est globalement liée à des conjonctures économiques (fermetures d’entreprises), à des politiques de bas salaires, à une trop faible protection sociale de ceux qui, cassés par le travail, se retrouvent privés d’emplois quand ni les entreprises, ni l’État n’assument « leur dette sociale »6Bénédicte Bonzi – La France qui a faim.

Il n’est donc pas abusif de parler de risque social alimentaire. L’individu – harcelé par la publicité et cerné par les points de vente de nourriture industrielle – ne peut guère y échapper.

Conclusion

Lorsque l’alimentation est produite dans des fermes en autonomie qui vendent en circuits courts, de nombreuses activités (industries chimiques, mécaniques, robotique, informatique, marketing, transports, construction d’infrastructures, IAA7Industries Agro Alimentaires (en aval de l’agriculture)…) deviennent superflues. Les firmes ne peuvent capter que peu de valeur économique nécessaire à la production de profits.

Aujourd’hui, sur un euro alimentaire, moins de sept centimes vont à l’agriculture. Mais l’agriculture paysanne nourrit bien la population (75 % de la population sur 25 % des terres dans le monde8Hélène Tordjman – La croissance verte contre la nature) maintient l’équilibre des agro-écosystèmes, pollue moins…

Au-delà des expérimentations locales de caisses alimentaires solidaires, la SSA est un projet systémique qui articule droit à l’alimentation, démocratie alimentaire, modèle agricole paysan écologique, droit du travail et accélération de la transition écologique. Un projet d’un potentiel émancipateur aussi puissant que celui des « jours heureux » du Conseil National de la Résistance.

Son défaut ? Il porterait atteinte aux pouvoirs et aux profits des possédants. Ce que rejettent, sans oser l’avouer, les élus attachés au système actuel.

Un projet capable d’assurer du mieux vivre au plus grand nombre et de garder la planète habitable, ça fait du bien !


 

Pour compléter, vous pouvez visionner un extrait du débat sur la SSA : la présentation de la proposition de loi par son rapporteur.

Notes