Les États Généraux de l’alimentation, une opération très macronienne
Par Michel Buisson – le 17 janvier 2018
À la clôture des États Généraux de l’Alimentation (EGA), la question qui structure ce bilan à chaud est la suivante : seront-ils autre chose qu’une grande et réussie campagne de communication, marquée par trois événements : le discours d’E. Macron le 11 octobre à Rungis à la fin de la première phase, la signature de la Charte le 15 novembre, la journée de clôture du 21 décembre, ces deux-là sans Macron mais avec plusieurs ministres sauf N. Hulot pour le troisième. Il a justifié son clash par le côté « non conclusif » du texte final du ministère, jugé « non raccord avec les déclarations de E Macron à Rungis » et « qu’il reste à discuter la deuxième partie » sur l’alimentation. Ce qui fâche N. Hulot, déjà marginalisé tout au long des EGA alors qu’il les a proposés, c’est que les transformations de l’agriculture pour une alimentation saine et durable ne font l’objet d’aucune proposition adéquate et d’aucun engagement précis. Effectivement, « le gouvernement nous propose une feuille de route sans objectifs concrets, sans aucune idée des moyens » (Camille Dorioz de la FNE). (Citations tirées des extraits d’interview, le Monde du 23/12).
La communication finale du Ministre de l’Agriculture contient effectivement un grand nombre de propositions dont la traduction concrète risque d’être de faible portée même si les engagements en termes de calendrier sont respectés. Par exemple, pour l’arrêt du glyphosate, question d’actualité très sensible, il est proposé l’établissement, avant fin juin 2018, d’un « plan de réduction progressive de l’utilisation des produits phytosanitaires, dont le glyphosate », la réalisation de ce plan relevant d’un « plan Ecophyto revisité ». Le délai de 6 mois, paraît extrêmement bref pour définir une politique réellement efficace, notamment vis-à-vis des firmes et des systèmes de production les plus polluants, de même le plan Ecophyto, même revisité, sera sans doute très insuffisant. L’efficacité sociale des quelques propositions concrètes concernant les prix (voir l’annexe) dépendra du bon vouloir des firmes qui seront les pilotes des plans de filière.
On est loin, avec tout ça, du changement de politique agricole et alimentaire annoncé, que souhaitent, pour eux et pour la planète, une majorité de citoyens. Pire, on peut craindre que certains d’entre eux soient convaincus des bienfaits de ce « moment macronien » qu’ont été ces EGA ! En effet, au lieu d’engager, sur les sujets réputés majeurs, une négociation suivie d’un travail parlementaire et citoyen, ces EGA ont été un vaste forum dont le pouvoir et ses alliés tirent une masse de propositions, volontairement de faible efficacité. Parmi les sujets majeurs « noyés » dans ces EGA, on peut citer : les conditions de revenu pour les producteurs, l’accélération des changements dans les techniques de production, la réduction des inégalités d’accès à une alimentation satisfaisante en matière de prix et de qualité.
Cette énorme et fructueuse campagne de communication, menée en un temps record (3,5 mois) a mobilisé 700 participants en 14 ateliers nationaux, 74 événements territoriaux, 156 000 visiteurs et 17 000 contributions à la consultation publique, une charte signée par tous les acteurs « économiques », beaucoup d’annonces dont celles de Macron…
Quelques éléments marquants
Le fonctionnement de la première phase a, sans surprises, fait l’objet de nombreuses critiques suite à la domination des débats par le gouvernement et par l’agrobusiness, avec en second la FNSEA. La portée de la parole des diverses associations, en a été très réduite, au point que plusieurs se sont retirées. Les résultats des travaux des ateliers de la seconde phase n’ont pas été réellement pris en compte.
Le principal événement réside dans le discours de Macron le 11 octobre à Rungis, chef-d’œuvre du macronisme, avec, « en même temps », esbroufe et « déterminisme libéral » : du côté de l’esbroufe, c’est l’appel à un nouveau « paradigme » en place d’un modèle déclaré « non soutenable » et « la mise l’accent sur une politique de prix en fonction des coûts de production » notamment en agriculture. Cette esbroufe vise aussi à masquer le « déterminisme libéral » : demande aux filières (donc aux firmes dominantes) de se réorganiser et de réorganiser l’agriculture, dénonciation « des prix trop élevés, de ceux qui produisent trop peu à des qualités trop faibles, qui doivent se regrouper », … le tout dans le cadre « de mutations extrêmes que nous allons devoir affronter » (admirons-le « nous » !), l’annonce de l’utilisation des ordonnances. On est en droit de s’étonner que N. Hulot, aie comme beaucoup d’autres trouvé positif ce discours.
La signature, le 15 décembre, de la charte « d’engagement pour une relance de la création de valeur et pour son équitable répartition au sein des filières agro-alimentaires françaises » a été signée par les acteurs « économiques »participants aux EGA, y compris la Confédération paysanne : elle a trouvé de « bonnes annonces et des contradictions » dans le discours de Macron tout en indiquant « quelle sera active et déterminée dans le processus qui s’engage » c’est-à-dire notamment dans la préparation de la future loi issue de cette charte (Campagnes solidaires, nov. 17, p 8 et 3). Dans le n° de janvier (donc postérieur au bouclage des EGA) de Campagnes solidaires, l’article (p. 9) intitulé « des ambitions en mauvais plan » la Confédération marque sa déception suite aux dernières annonces, son attente de » redonnons du sens au métier de paysan. Cela passe d’abord par garantir un revenu aux paysannes et aux paysans …, avec une loi pour ça » (L. Pinatel), n’étant, bien sûr, pas satisfaite.
Les grandes lignes des propositions pour l’agriculture
L’agriculture est présente dans les trois événements marquants, avec notamment la charte d’auto engagement des acteurs économiques pour « la relance de la création de valeur et son équitable répartition au sein des filières agroalimentaires » (!) avec : pour tous, l’engagement de mettre en place une contractualisation par filière, pour les producteurs de se grouper, pour les coopératives de garantir une rémunération équitable et transparente, pour les entreprises de l’alimentaire de mettre en place des partenariats durables et équitables avec les acteurs de la production et de la distribution, pour la distribution les mêmes partenariats avec leurs fournisseurs. L’élément essentiel de ce texte « bisounours » porte sur la contractualisation basée notamment sur des coûts de production et de marchés. Ce point qui devrait faire l’objet d’un projet de loi début 2018 est discuté dans l’annexe.
Cette inversion de la contractualisation est reprise dans la première partie de la feuille de route du gouvernement, présentée le 21 décembre, première partie dénommée « assurer la souveraineté alimentaire de la France », référence une fois de plus abusive à ce concept, d’autant que les seuls aspects en matière de relations internationales sont de « renforcer l’image de la France à l’international et d’appuyer les entreprises à l’export ». A noter aussi que les quelques allusions aux questions environnementales liées à l’agriculture sont soit, reportées sur la nouvelle PAC, objet « d’une ambition forte », soit évoquées à propos de l’alimentation (!). Que les associations se rassurent, « les engagements environnementaux, sociaux … des plans de filières feront l’objet d’un dialogue avec elles en janvier 2018 »!
Les grandes lignes des propositions pour l’alimentation
Ces propositions occupent à côté, de celui sur la souveraineté alimentaire, deux objectifs de « la feuille de route de la politique de l’alimentation » présentée le 21 décembre : « promouvoir des choix alimentaires favorables pour la santé et respectueux de l’environnement et réduire les inégalités d’accès à une alimentation de qualité et durable ». On notera d’emblée que l’objectif n’est pas mettre au point une offre alimentaire de qualité accessible au plus grand nombre. Le premier objectif est traduit par des souhaits en matière de sécurité, de réduction des pesticides …, les seules actions notables, outre la promotion de la qualité en restauration collective, portant sur la promotion des signes de qualité et un nouveau plan « ambition bio », fin 2018. Le second objectif insiste sur l’importance des dons, l’information et la formation. S’y ajoutent quelques mesures transversales : renforcer le rôle du Conseil national de l’alimentation, accélérer l’élaboration des PAT (Projet Alimentaire Territorial) et favoriser le développement de filières locales …
D’où la question finale, y aura-t-il au sein de ces nombreuses propositions, quelques-unes sur lesquelles les forces sociales pourront prendre appui et faire pression pour aboutir à des avancées dans les décisions annoncées ?