Notre camarade Vincent se trouvait sur place lors du cyclone. Il livre son témoignage et ses réflexions. Des urgences : alignement des droits sociaux sur la métropole, régularisation massive des migrants avec arrêt de leur limitation de mouvements, investissements à hauteur des nombreux besoins dans les services publics, etc.
Mayotte après le cyclone CHIDO. Témoignage de terrain.
Par Vincent Buard. Le 8 janvier 2025.
Première partie : le 24 décembre 2024
La connexion n’est pas revenue sur la plupart des communes de l’île, d’où le retard de mes nouvelles.

Le cyclone Chido a provoqué des vents de plus de 200 kmh et a endommagé des habitations, des bâtiments et un hôpital © Photo AP
Cyclone contournant la pointe nord de Madagascar – qui habituellement les annihile ou les amoindrit – Chido (miroir en shimaoré, la langue locale) a touché le nord surtout, puis le centre de Mayotte.
C’est le 14 décembre, samedi matin, que pendant quatre bonnes heures le cyclone a soufflé. Les cabanes dont les murs et toits étaient en tôle ont volé dès la première heure, puis de nombreux toits de maisons en dur ont suivi.
La population était déjà prévenue, depuis 48h.
Les écoles (au tout début des vacances scolaires), MJC et autres bâtiments publics avaient été ouverts aux habitants à risque. Taux de remplissage variable, les sans-papiers se méfiant des autorités et des gendarmes.
D’emblée et pour une semaine, l’eau courante et l’électricité ont été coupées. Pour de nombreuses familles, le manque d’eau potable a été éprouvant.
Le chef-lieu de département – Mamoudzou – a vite bénéficié d’une reprise de ces services. Par contre, le reste du tiers nord, notamment le nord-ouest, ainsi que le tiers central de l’île n’ont commencé à les retrouver que dimanche soir à 22.12.
Les connexions téléphoniques et internet dans ces zones ne sont pas revenues pour les principaux opérateurs : Orange, SFR, Free, etc., à l’exception d’Orange pour le téléphone.
Les dégâts :
Au moins 35 morts et environ 2 500 blessés après le Cyclone Chido © AP pic
Humains : beaucoup plus faibles que les images télévisées du premier jour pouvaient le laisser craindre. Un confrère mahorais, enraciné dans cette île, me disait n’avoir entendu parler du d’aucun décès dans au moins quatre communes de la zone centrale, quatre jours après le passage du cyclone. Au 1er janvier on les estimait à 39, chiffre plausible.
Au dispensaire, nous avons vu une surmorbidité, faite de blessures par clou ou tôle, en général au niveau des jambes. Environ trois fois plus de traumatismes en tout que d’habitude. Ils diminuent maintenant, d’autant que la reconstruction de ces mêmes cabanes, économiques et rapides à construire, approche de la fin pour de nombreuses bangas.
Pas d’épidémie.- La flore, au nord et au centre, est dévastée. Arbres écrêtés, sans branches, au tronc cassé voire même déterrés.
- La faune a souffert. Projetés par le vent, la volaille, les oiseaux, des makis (singes locaux), des chiens et chats n’y ont pas survécu.
- L’agriculture mettra 6 à 12 mois à s’en remettre, selon les agriculteurs eux mêmes.
- Des bâtiments publics ont été bien abîmés : le grand lycée du nord, à M’tsangadoua, qui faisait face à la mer ; plusieurs autres écoles, elles aussi dans le nord, etc.. Il est douteux que la rentrée prochaine des élèves de ces écoles se fasse en janvier. Cette partie de l’île recevait beaucoup de migrants…
Les structures de santé ont mieux résisté : des toits en partie arrachés, des câbles électriques abîmés et exposés à la pluie.
Y travailler sans eau courante ni électricité fut un défi. Plusieurs jours dans une semi-pénombre, éclairés par des lampes frontales pour suturer ou écrire des observations et ordonnances ! Heureusement, ces deux lacunes sont en voie d’amélioration. - Les habitations privées. L’intérêt des maisons en tôles est leur très faible coût, leur simplicité et rapidité de construction. La majorité d’entre elles ont été réparées, voire reconstruites les semaines suivantes.
L’adaptation et la résilience des humains aux cataclysmes est visible ici aussi.
Comme nous le savons dans l’humanitaire, le niveau de richesse rend très inégales les conséquences des catastrophes naturelles, que ce soit entre les pays ou entre les classes sociales elles-mêmes. Les plus riches résistent mieux puis se reconstruisent plus vite. Même si, à Mayotte, au moins pour leurs murs et leurs toits, les plus pauvres les ont rebâtis plus vite, facilité, mais aussi nécessité oblige.
Une île préparée ?
Mayotte était-elle préparée à la hauteur qu’exige son statut de département français ?
Son administration locale, sa préfecture, ses responsables sanitaires et sécuritaires ne me semblent pas avoir trop démérité, dans le cadre de leurs possibilités du moment.
Par contre, l’état des habitations des plus pauvres – un bon tiers de la population – les dégâts dans les bidonvilles, le retour de la pénurie d’eau pointent les travers d’un État, au niveau local comme national, avare envers la majorité parce que prodigue à l’égard d’une minorité, et répressif en conséquence.
Ce qui reste à faire
En somme, l’île devra :
- Poursuivre la réparation de son réseau d’adduction d’eau, déjà en cause dans la pénurie de ce bien vital l’an passé. À noter un déboisement massif lié au cyclone, alors que la rétention de l’eau des collines par les arbres est une nécessité déjà connue pour freiner la pénurie hydrique.
Petite note d’espoir: début janvier, les arbres se garnissent déjà de feuilles vertes à leurs branches. - Réparer le réseau d’électricité : nombreux pylônes effondrés, lignes coupées ; ainsi que les connexions internet. Le 4 janvier, il restait selon EDF 30% de ménages sans électricité.
- Importer davantage de denrées alimentaires pour les prochains trimestres, alors que les minima sociaux sont les plus bas de France. Cette situation est illégale de fait : RSA, SMIC, etc. pour une population considérée pour ses trois quarts sous le seuil de pauvreté. Un chômage à 37% pour les mahorais, plus de 50% pour les jeunes. Il faudra remettre ces minimas en cause, ainsi que relancer l’activité économique, ce que de grands travaux (routes, écoles, etc.) aideraient à réaliser.
- Réparer et construire de nouvelles écoles. Dans ce domaine, Macron a refusé, depuis son premier mandat, de suivre l’évolution démographique locale. Il a poussé ainsi les élus locaux et la population mahoraise à rejeter la responsabilité de cette pénurie sur les enfants sans papiers (plus du tiers des enfants actuellement scolarisés). Il y avait déjà 10 000 enfants non scolarisé·es. Combien y en aura-t-il les prochains mois ? Avant le cyclone, la moitié des écoles fonctionnait en alternance, une moitié d’élèves le matin, l’autre l’après-midi. Sans parler des internats, pratiquement inexistants, des cantines, absentes dans la moitié des collèges et lycées.
- Maintenir une situation sanitaire pourtant déjà critique. La densité médicale est quatre fois plus basse qu’en métropole, reposant à 90% sur les médecins du secteur public. Les sages-femmes sont en sous-nombre, au point d’avoir dû fermer deux maternités sur quatre en dehors du chef-lieu. Il s’agit pourtant du département ayant la plus grande fécondité de France !
Une aide de l’État indispensable
L’île ne pourra pas faire face sans l’aide de l’État.

Le cyclone Chido a frappé Mayotte dimanche © UIISC7-Securite Civile-AP pic
Sera-ce possible avec un président de la République qui gouverne en autocrate et lâche des phrases du genre « Le problème des urgences dans ce pays, c’est que c’est rempli de Mamadou » ou « Si c’était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde » ?
Qui est responsable de la crise à la fois aiguë et chronique des secteurs hospitalier, de l’éducation, de la justice, avec des DOM situés en bout de chaîne pour les ultra-libéraux qu’il représente ?
Nous n’avons pratiquement aucune raison d’espérer davantage qu’un colmatage minimaliste, ne tenant évidemment pas compte des migrant·es, qui représentent selon l’INSEE le tiers de la population.
L’élite politique locale – élue par les mahorais – dirige le département et se soumet docilement à tout gouvernement français. Il est composé de notables, d’arrivistes, de conservateurs, voire de sympathisants de l’extrême droite.
La logique économique – de plus en plus faible – derrière les choix faits à Mayotte n’est plus coloniale – cinquante ans après son rattachement à la France – mais libérale.
Elle s’appuie sur les convergences politiques locales et nationales, qui, in fine, permettent d’écarter l’idée de rattraper en temps voulu le retard pris sur les autres départements français.
Pour Mayotte, la gauche doit prendre le relais. Heureusement, elle a bien commencé à le faire avec les points du programme du Nouveau Front Populaire de 2024 concernant l’île : alignement des droits sociaux sur la métropole, régularisation massive des migrants avec arrêt de la limitation de leurs mouvements au seul département, investissements à la hauteur des nombreux besoins dans les services publics, etc.
Deuxième partie : le 8 janvier 2025
État des lieux
Le 8 janvier 2025, la connexion manque encore au nord et au centre de l’île, en dehors du chef-lieu de département, Mamoudzou,
L’eau est revenue dans la plupart des endroits, mais pas tous. En reprenant les « tours d’eau » qui sont des fermetures d’eau au robinet un jour sur deux, avant de revenir à deux jours d’eau courante sur trois, comme avant…
Ces tours d’eau se poursuivront pour réparer les canalisations qui ont un taux de fuite de près de 35%, comparés à la moyenne nationale de 15% environ. C’est Vinci qui possède le réseau d’adduction d’eau depuis les années 80 et qui a économisé – doux euphémisme – sur la maintenance pendant 40 ans…
Qui paie les réparations actuelles, le secteur public ou Vinci ? Les collectivités publiques locales, par le biais de leur syndicat mixte LEMA (Les eaux de Mayotte) !!! L’entreprise contractée est Saur, un autre géant du secteur. Vinci s’en sort sans rembourser quoi que ce soit au département.
Trente-neuf morts seulement sont enregistrées par la préfecture, ce qui est plausible, malgré le contraste entre les dégâts matériels et ce faible nombre.

Des secouristes ont déblayé une zone à Mayotte après le cyclone Chido © Photo AP
En fait, en plus des édifices publics : écoles, mairies, etc. de nombreux mahorais ont hébergé, protégé des comoriens. Car presque tous les mahorais utilisent la main d’œuvre clandestine, beaucoup moins chère. Tout en votant à droite, voire à l’extrême droite… Car la gauche paie encore sur l’île sa réticence à reconnaître Mayotte comme étant une île française.
Les écoles sont nombreuses à ne plus pouvoir accueillir tous leurs élèves. La rentrée est déjà repoussée pour nombre d’entre elles au 20 janvier, et davantage pour plusieurs établissements du nord.
Notre centre de santé fonctionne quasi normalement à présent, comme les autres centres. Un hôpital civil – de la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises – s’est installé près de Mamoudzou et décharge l’hôpital départemental de différentes actions, surtout en chirurgie.
Des pompiers de métropole sont venus et aident, notamment en logistique, mais aussi dans le domaine médical.
Les politiques
Bayrou, à peine arrivé sur l’île, a repris les éléments de langage de la macronie, de la droite et l’extrême droite locales et nationales pour demander l’annulation du droit du sol.
Un tiers de la population à Mayotte (310 000 personnes selon l’INSEE en 2022) est migrante et un peu moins est sans papiers. Soit pour ces derniers environ 70 000 personnes en 2022.
Ces chiffres, Marine Le Pen affecte de les gonfler. Passée du dimanche 5 au mardi 7 à Mayotte – incontestablement la politicienne nationale la plus populaire sur l’île – elle y a donné le la. L’État n’en fait pas assez sur le problème principal, l’immigration. Aucune autre proposition n’a par ailleurs retenu l’attention médiatique.
Un trio de ministres (Valls, Retailleau, Lecornu) avait pourtant, dès la veille, tenté d’allumer un contre-feu, affichant sa fermeté envers l’immigration à Mayotte. Ils n’ont servi qu’à valider l’obsession de l’extrême droite, sans surcroît de popularité à Mayotte.
Un recensement de la population de l’île est demandé, mais ses résultats ne sont pas attendus avant l’an prochain. Les soi-disant 500 000 habitants de l’île estimés par Marine Le Pen confortent déjà les fantasmes xénophobes d’une majorité d’électeurs mahorais qui se « sentent écoutés » et ne croiront pas les nouveaux chiffres.
Macron parlait de réarmement démographique il y a quelques mois.
Son camp refuse de voir l’opportunité d’une régularisation importante des sans-papiers du pays, cependant vue comme telle par les patronats, locaux et nationaux. Si les migrants pouvaient aller en métropole – le visa accordé ici les cantonne à ce département, une exception de plus – la population de l’île applaudirait. Il suffirait que l’État applique pleinement la départementalisation votée en 2011, c’est-à-dire l’alignement de ses droits et devoirs sur la métropole. En 2023, Lecornu, alors ministre, avait répondu à cette question qu’« il faudra atteindre au moins dix ans ».
Un « détail » à suivre. Le procureur Yann Le Bris – connu sur l’île pour avoir envoyé en prison ferme plusieurs maires pour détournement d’argent public – vient d’annoncer cette semaine son départ pour la Martinique pour la fin janvier. Ce délai inhabituellement court fait penser à une mutation. Ce procureur avait déstabilisé la classe politique conservatrice mahoraise tout en rehaussant l’image de la justice en à peine quatre ans. Darmanin a-t-il ainsi répondu aux appels pressants et inquiets de plusieurs élus locaux ?
Quand l’incompétence et la mauvaise volonté le disputent à l’électoralisme, l’extrême droite de Mayotte en profite.
Pour compléter, vous pouvez consulter :
- L’interview de cet universitaire qui a travaillé pendant 9 ans sur Mayotte, pour publier en 2022 un ouvrage de référence : Une situation post coloniale, Mayotte ou le gouvernement des marges (Ed CNRS). Il y parle entre autres de la méfiance ancienne entre Mayotte et le reste de l’archipel des Comores, de la demande de départementalisation répondant à ce désir de s’en éloigner, etc. Concis, 25 mn , clair et didactique. Un podcast de France Culture : « Mayotte : départementalisation » publié le mardi 7 janvier 2025 à 19:03
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