Nous sommes de celles et ceux qui se réjouissent de la chute du boucher el-Assad en Syrie. Nous avons fêté l’évènement avec les syrien·nes un peu partout en France ou par la pensée. Il est utile aujourd’hui d’essayer de voir où en sont les choses. En effet, les évènements évoluent extrêmement vite.

Où va la Syrie ? Rojava en danger !

Par Gilles Lemée. Le 20 décembre 2024.

Fin de la dictature

Nous sommes, ô combien, parmi celles et ceux qui se réjouissent de la chute du boucher el-Assad en Syrie. Nous avons fêté l’évènement avec les syrien·nes un peu partout en France et en Syrie, par la pensée, sans arrière-pensée. Il est utile aujourd’hui d’essayer de voir où en sont les choses, en ayant bien en tête que les évènements évoluent extrêmement vite.

L’offensive lancée depuis la région d’Idlib par l’organisation HTS1HTS ou Hayat Tahrir al-Cham, l’ANS2Armée nationale syrienne et d’autres groupes islamistes avec l’appui de la Turquie le 29 septembre (voir nos articles précédents) a rapidement abouti au renversement du régime dictatorial subi par les syrien·nes depuis 50 ans.

Quelle est la situation aujourd’hui ?
Carte de la Syrie © RIC

Carte de la Syrie © RIC

Les milices de HTS ont avancé jusqu’au désert, libérant (?) par leur avance les villes d’Alep, Hama, Homs et enfin Damas (8 décembre) et les régions avoisinantes. Elles ont été soutenues par le soulèvement des populations de la région de Daraa (déjà en pointe lors de la révolution de 2011 et victimes d’une effroyable répression de Bachar al-Assad).

Parallèlement, l’ANS (Armée Nationale Syrienne, agglomérat de bandes supplétives au service de la Turquie armées et formées par elle) est passée à l’offensive au nord du pays. Elle est intervenue au long de la frontière turco-syrienne que l’on appelle communément Rojava (que les kurdes nomment AANES – Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie3Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie).

Le groupe HTS est un groupe islamiste issu du front al-Nosra4Front al-Nosra, ex-branche syrienne d’al-Qaida5Al-Qaïda. Ce groupe et son actuel dirigeant, Abou Mohammed al-Joulani, ont laissé des souvenirs de terreur.

Qui est Abou Mohammed al-Joulani ?

Cet homme revient aujourd’hui avec un look et surtout un discours totalement changé. Il se dit prêt à l’ouverture, au dialogue, au compromis et au respect des différentes confessions et ethnies du pays.

Depuis le 10 décembre, un autre ex-djihadiste – Mohammad al-Bachir – est président du nouveau gouvernent islamiste radical formé par HTS. Il doit y rester jusqu’au 1ᵉʳ mars, date prévue pour que des élections libres (?) aient eu lieu et qu’un gouvernement démocratique (?) soit formé.

Nous en sommes là au niveau des promesses. Ce 20 décembre, un groupe de diplomates américains est arrivé en Syrie pour discuter avec les nouveaux dirigeants. Le moins que l’on puisse dire est que le passé de ces personnages ne plaide pas en leur faveur.

Il y a donc là un espoir, mais aussi beaucoup d’incertitudes.

C’est ce que nous a déclaré Kerîm Kamar – représentant de l’AANES en France – lors de l’interview qu’il nous a accordée le 12 décembre6Nouvelles récentes de l’AANES (Rojava). Nous avons «  aussi des incertitudes dans la mesure où l’on sait d’où viennent les nouveaux maitres de Damas : ce sont des anciens de Daesh, qui se sont transformés en HTS et se transformeront peut-être demain en autre chose, on ne sait pas. Donc c’est inquiétant dans la mesure où ils ont des groupes armés et une idéologie islamiste radicale. Est-ce que ces gens qui ont annoncé un gouvernement de transition vont comprendre que la Syrie a vraiment besoin d’être stabilisée et que tous les syriens doivent être considérés comme citoyen à part entière, ou bien y aura-t-il de nouvelles oppositions débouchant sur des conflits violents, on ne sait pas ».

Des signes inquiétants – bien qu’encore très minoritaires – apparaissent toutefois. C’est le cas lorsque ces islamistes barbus se prennent en selfies sur X demandant des certificats de mariages aux couples et les priant de se séparer en cas de non-production. Ou bien lorsqu’ils prient des femmes de mieux ajuster leurs voiles. Ou encore lorsqu’ils confisquent les bouteilles d’alcool dans des lieux publics… Pour autant, al-Joulani n’en continue pas moins ses déclarations d’ouverture…

La volonté de l’AANES

L’ouverture d’un dialogue et de discussion, c’est aussi ce que demandent les autorités de l’AANES qui administrent le Rojava (en jaune sur la carte). Cette partie de la Syrie a été attaquée par l’ANS avec le soutien politique et en armes de la Turquie (et aussi de son artillerie et de son aviation pour les bombardements).

Voici ce que nous en disait K. Kamar le 12 décembre : « L’Administration autonome a manifesté sa volonté de négocier d’abord avec les HTS. Pour l’instant, par l’intermédiaire de la coalition, des Américains. Est-ce que nous allons être écoutés ? Est-ce que les pays de la région vont le permettre? Est-ce que la coalition internationale va nous soutenir jusqu’au bout dans cette voie ? Ce sont les questions que l’on se pose à ce jour ».

Les objectifs de la Turquie

Mais avec la Turquie – car c’est bien elle « la patronne » dans cette partie de la Syrie – les affaires sont infiniment plus difficiles. L’ANS a attaqué les FDS (Forces Démocratiques Syriennes, « armée » de l’AANES). Les forces arabo-kurdes ont donc dû évacuer la rive ouest de l’Euphrate après un cessez-le-feu imposé par les États-Unis. Ces derniers soutiennent et protègent les Kurdes au Rojava dans la région de Manbij. De même, l’ANS a repris le contrôle de la ville de Tall Rifaat au nord d’Alep (zones en vert sur la carte). Idem à Der ez-Zor où une ligne de cessez-le-feu est établie sur l’Euphrate.

La situation est particulièrement inquiétante pour nos amis kurdes. Et ce n’est un secret pour personne – y compris pour nos dirigeants français et européens plus globalement – que la Turquie (et l’ANS qu’elle utilise) a pour but ultime d’en finir avec le Rojava. À tout le moins, elle vise à bâtir une sorte de « djihadisant » sur une trentaine de kilomètres de profondeur le long de sa frontière.

Erdoğan ne veut plus reconnaitre les frontières de 1923 dans son délire d’ottomanité. C’est pourquoi la déclaration de l’UPK (Union Patriotique du Kurdistan qui dirige la région de Sulemaniyê au sud du Gouvernement régional autonome d’Irak)7Union patriotique du Kurdistan déclarant soutenir les Kurdes de Syrie a toute son importance. Alors que le PDK (Gouvernement kurde autonome, autour d’Erbil, au nord)8Parti démocratique du Kurdistan est allié – sans trop le proclamer ! – de la Turquie, comme l’Irak ! Nul doute qu’Erdoğan aimerait profiter de cet appui…

Aujourd’hui, c’est la ville de Kobané qui est encerclée par les forces pro-turques. Kobané, ville symbole de la résistance des Kurdes à Daesh en 2015. Résistance héroïque des Kurdes qui connurent des milliers de morts et dont l’occident célébraient alors la victoire…

Face à la Turquie, Mazlum Abdî (chef des FDS) a déclaré : «Nous sommes sur nos propres terres. Ce sont seulement la Turquie et les groupes qu’elle soutient qui provoquent la guerre et le conflit. »

Aux propos répétés de l’AANES et des FDS multipliant les offres de discussions, la Turquie répond, ce 20 décembre, qu’elle exige le retrait de Syrie de tous les combattants kurdes non syriens. M. Abdî a répondu que, pour ces combattants – entrés en Syrie pour épauler les FDS dans la guerre contre Daesh – « il sera temps de rentrer chez eux si un cessez-le-feu était conclu ». Et il a ajouté que les FDS étaient prêtes à se retirer de la région de Kobanê, au profit d’une force de sécurité interne, avec la présence des américains ».

Qu’en fera Erdogan ? La parole, pour une non-conclusion, à Kerîm Kamar : « Avec la Turquie, il y aurait peut-être des pourparlers, mais ce n’est pas encore certain. Cela dépendra de la volonté de M. Erdoğan de comprendre qu’il y a des gens dans cet espace qui doivent être respectés et que ce n’est pas une menace contre la sécurité de la Turquie ».

Notre tâche

Quant à nous, notre tâche de militant·es internationalistes est d’interpeler nos dirigeant·es politiques, quel que soit leur échelon. Nous devons exiger qu’ils ou elles fassent pression sur les autorités turques. Ces dernières doivent cesser leur agression contre les Kurdes du Rojava. Elles doivent laisser les Syrien·nes décider librement de leur sort !


Pour compléter, vous pouvez voir sur notre site :

Notes