Le régime dictatorial de Bachar al-Assad s’est effondré le 8 décembre 2024. Nous nous sommes associé·es à la joie des Syrien·nes. Maintenant, c’est notre vigilance et notre solidarité qui vont être nécessaires. Deux tribunes viennent de paraître, l’une et l’autre signées par des membres de notre mouvement. Les voici ci-dessous.

Par des collectifs. Tribunes publiées les 19 et 20 décembre par Le Club de Mediapart.

La gauche doit se tenir aux côtés du peuple syrien, sans tergiverser

Le 8 décembre 2024 est venu clore en Syrie une séquence ouverte treize ans auparavant par un soulèvement populaire plein d’espoir, réduit au silence par une répression caractéristique de ce que furent les quelques cinquante-quatre ans de règne du clan Assad sur la Syrie. Notre premier sentiment a été de saluer cette victoire et de communier aux côtés de nos ami·es syrien·nes sur les places de nombreuses villes françaises comme sur les réseaux sociaux. Démocrates, internationalistes, opposé·es à toute forme d’autoritarisme et d’oppression, cette aspiration à la liberté n’a pas toujours été entièrement partagée par nos camarades de gauche.

La première raison tient au caractère des libérateurs, principalement issus de l’organisation islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Nulle naïveté, nous partageons cette inquiétude. Commencer par célébrer la chute d’une dictature parmi les plus sanguinaires et tyranniques n’empêche pas de partager certaines inquiétudes sur ce qui va advenir. Toutefois, le positionnement politique face à un événement d’une ampleur si forte et puissante ne peut, en aucun cas, se focaliser sur l’incertitude de l’après au risque de laisser croire qu’à un quelconque moment nous pourrions regretter ce que fut la Syrie d’Assad.

En ce sens, nous rejoignons les mots de l’intellectuel anti-régime et figure de la gauche syrienne Yassin al-Haj Saleh : « Nous ne pouvons pas reconnaître l’efficacité militaire des HTC contre le régime tout en ignorant leur idéologie. Nous ne pouvons pas non plus nous focaliser sur leur idéologie et négliger leur rôle clé dans la résistance à un régime qui tue des Syriens sans relâche depuis des années. Se focaliser sur une seule partie rend impossible une politique efficace. »

Par ailleurs, la vitesse à laquelle le régime est tombé démontre à quel point il ne disposait plus d’aucun soutien populaire, et cela n’est pas le fruit de HTC mais de la réussite par le mouvement révolutionnaire d’avoir, en treize ans, largement infusé les idées de liberté à travers le pays, brisé le mur du silence et de la peur, et fait gagner ces idées qui n’attendaient plus que de pouvoir s’exprimer.

Cette première raison est également nourrie par une confusion qui empêche une juste appréhension du champ des possibles qui vient de s’ouvrir en Syrie : sans conteste, l’islamophobie ambiante pèse au point de ruiner toute analyse politique portant sur des populations et des espaces de l’aire arabo-islamique. Elle alimente aussi les analogies non fondées avec les trajectoires afghane, irakienne ou libyenne, dans un essentialisme de la région et de ses peuples qui fleure bon l’orientalisme. Chaque société a ses propres dynamiques en fonction de ses structures, de sa composition et des rapports de force qui la traversent. Et aussi évident que paraisse ce rappel : Damas n’est pas Kaboul et le tissu social syrien présente autant de différences avec la société afghane qu’avec la société française…

La deuxième raison de l’absence d’une partie de la gauche aux côtés du peuple syrien porte sur la question kurde. Là encore, notre soutien à la révolution syrienne ne laisse aucune place aux ambitions turques sur le Kurdistan syrien du Rojava. Les négociations, toujours en cours au moment où ces lignes sont écrites, entre le nouveau gouvernement syrien et les Forces démocratiques syriennes, sont le meilleur moyen de mettre la stratégie d’Erdogan en déroute. Elles doivent permettre de dégager un accord assurant aux populations arabo-syriennes du Nord et de l’Est de vivre sous l’autorité d’une Syrie sans Assad, sans pour autant remettre en cause l’existence dans le Rojava de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) pour les populations kurdo-syriennes.

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Après la chute d’Assad, protégeons la révolution syrienne, les Kurdes et les minorités pour une Syrie libre, pluraliste et démocratique.

Le régime dictatorial de Bachar al-Assad s’est effondré le 8 décembre 2024 après une offensive foudroyante menée par une coalition de rebelles islamistes dominée par le groupe Hayat Tahrir al Sham (HTS). C’est la fin d’un régime parmi les plus sanguinaires au monde.

En plus de 54 ans, la domination du clan Assad sur le peuple syrien a entraîné près d’un million de morts, plus de 13 millions de déplacé.es et réfugié·es, des centaines de milliers de disparu·es et torturé·es, l’utilisation d’armes chimiques contre son peuple, un narcotraffic massif, entre autres horreurs. Clé de voûte de ce système tortionnaire et mafieux qui revendiquait de « brûler » son propre pays, la prison de Sednaya : un « abattoir humain » où le régime a fait disparaître plusieurs dizaines de milliers d’opposant·es, certaines dans des bains d’acide.

L’offensive militaire des factions rebelles du Nord et du Sud n’aurait pas pu s’imposer si elle n’était pas portée à la fois par l’état de décrépitude du régime et par une aspiration populaire immense pour en finir avec le « boucher de Damas ». D’Alep jusqu’à Soueïda et Deraa, la chute du régime est avant tout un prolongement de la révolution populaire syrienne déclenchée en 2011 dans la vague des « Printemps Arabes ». Elle revendiquait une Syrie libre, démocratique et pluraliste, avant d’être étouffée par une guerre déchirant le pays et instrumentalisée par de nombreuses puissances. Ce sont les enfants des révolutionnaires qui sont venus « compléter l’histoire » en libérant les villes où ils ont grandi.

Affirmant leur dignité, ils sont sortis des limbes du « royaume du silence » où la communauté internationale les avait relégués. Car en Occident la révolution syrienne a souvent été ignorée, incomprise voire calomniée au nom d’un soi-disant « anti-impérialisme » du régime de Bachar al-Assad qui permettrait de relativiser ses crimes contre l’humanité, de fausses idées selon lesquelles le peuple révolutionnaire syrien n’était composé que de djihadistes ou instrumentalisé par la CIA, et de la persistance d’une vision orientaliste méprisante déniant aux habitant·es de la région la capacité d’être acteurs·ices de leur histoire.

Nous rendons hommage à la révolution syrienne. Pendant plus de 13 ans, elle a persisté envers et contre tout : à travers des réseaux d’exilé·es poursuivant la lutte dans le monde entier, des activistes des droits humains infatigables compilant les preuves des crimes du régime, des militants transmettant la mémoire des Conseils civils locaux et des expériences d’auto-organisation de la période 2011-2013, des manifestations contre le régime qui continuaient chaque année à Idlib et récemment à Souïeda… Par-delà des souffrances inimaginables, les révolutionnaires syrien·nes n’ont jamais abdiqué leur dignité.

Ce qui semblait impossible est devenu possible et réel. Dans les berceaux de la révolution de Homs et Deraa, de Damas à Alep, de Raqqa à Hassakê, mais aussi dans la plaine de la Bekaa au Liban, dans les villes de Turquie et jusqu’à Berlin et Paris, le drapeau à trois étoiles flotte sur les places, les bâtiments publics et les ambassades. Dans les manifestations à nouveau autorisées, le peuple chante « Uni, uni, uni, le peuple syrien est uni ! » dans un torrent d’émotions.

Défendre les minorités, les Kurdes, et le projet de l’AANES.

Malgré cela, la Syrie est encore loin d’être libérée, ses habitant·es loin de pouvoir s’autodéterminer sereinement. […]

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