Malgré les déclarations d’intention et les proclamations solidaires, les pauvres, les précaires, … bref, le bas de l’échelle est encore un angle mort dans les propositions et exigences de la gauche même la plus radicale. Si nous voulons unir toutes et tous les exploité.es, et ne pas donner prise aux discours diviseurs des in et des outsiders, il nous faut apporter des réponses qui les réintègrent dans la société.
Des exigences élémentaires d’égalité.
Dans le contexte de la pandémie, il s’exprime une forte remise en cause des inégalités des conditions de vies insupportables aux salarié.e.s de base et aux précaires (qui voient le salaire minimum divisé par 2 ou 3, ou plus). Cette prise de conscience, effet de la crise sanitaire, pourrait être très bénéfique… si elle permet de mettre les points sur les « i ».
Nous n’oublions pas que le chômage, la précarisation et l’entretien de la pauvreté sont des outils stratégiques pour le Capital et les politiques de division qui lui sont vitales.
Nous pouvons viser quelques revendications, des repères, pour qu’un bloc social oppose des buts politiques différents des politiques suivies depuis tant d’années. Nos chiffres sont dans les termes actuels, les modalités de justification viennent ensuite…
Un résumé, suivi de quelques arguments.
Un minimum garanti à 1250€, pour tous les revenus, les pensions, le plancher des retraites, les allocations garanties comme droit individuel.
Un SMIC net augmenté à 1800€, comme minimum de base de toutes les conventions de branches, pour un temps de travail sans doute réduit à 32h/semaine
Un plafond des revenus salariaux à 4 fois le SMIC, parce que plus de 95% des salarié.e.s sont concerné.e.s, et ainsi la discussion sur ceux/celles « au-dessus » appellent des négociations syndicales.
Un débat et un traitement politique s’impose au sujet des patrimoines, et d’abord une connaissance des informations : 5% possèdent 30% ; 50% possèdent 8%.
Un passage obligé de ce débat : qui doit payer une plus grande égalité ?
Nous avons l’habitude des discussions politiques menées entre « le moindre mal » et les promesses électorales, dans leur diversité. Sans doute cela traduit-il la composition effective de la population française dans sa hiérarchie sociale et économique réelle mais pas consciente. Il s’agit au moins de corriger les effets de trente ans de politique néolibérale.
Quelques données , pour parler d’égalité réellement, sur le plan matériel, qui joue plus qu’on ne le pense sur nos façons de discuter…:
En moyenne, en sachant qu’on devient rarement propriétaire avant 30 ans :
- les 10 % les plus fortunés possèdent 48% de l’ensemble du patrimoine. Ces 10% possèdent 700 fois plus que les 10% les moins fortunés
- la moitié de la population (50%) se partage 8% du patrimoine. Ce n’est pas sans raison qu’on peut dire que la retraite, est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.
- le 1%, les plus hauts, possèdent à eux seuls 17%
- les 10 % les plus riches possèdent près de la moitié du patrimoine.
Entre les 50 % du bas et les 10% du haut…, des inégalités et une nécessaire réforme des impôts.
- 40% de la population possède environ 42%, avec des différences
- 10 %, 7% du patrimoine ;
- 10%, 9 % ; 10%, 12 % ;
- et 10 %, 17 %
En fait…
- les 30% les plus riches de la population possèdent 70% du patrimoine,
- 70% de la population se partagent, mal, 25% du patrimoine
- et la moitié de la population (50%) se partage 8% du patrimoine
- Parmi les 10% les plus fortuné.e.s, précisons un peu la hiérarchie : l’écart est de 600.000 à 1.900.000€, entre la moyenne de ces 10% et le 1% le plus haut.
Ici, on est loin d’une pyramide : le haut ressemble à la pointe d’une longue épingle.
Malgré les jalousies entre eux, ils sont d’accord pour condamner les « assisté·es » qui gagnent 1 000 fois moins que les plus « pauvres » d’entre eux.
La part des revenus détenus par le 1 % des Français les plus riches est passée de 7 % en 1983 à 11 % en 2014, et 18 % en 2018, en comptant le patrimoine net, c’est-à-dire la richesse déduite de l’endettement (Les Echos, 19 déc. 2019).
D’où cette remarque de bon sens : puisqu’ils n’étaient pas dans la misère en 1983, leur reprendre une part (un tiers ou plus ?) ne les réduirait pas à la mendicité !
Evidemment, c’est dans cette partie des richesses qu’il faut trouver une part à redistribuer, essentiellement par une politique d’équipements, de logements de qualité, de gratuités diverses pour de productions écologiquement et socialement utiles.
Impôt sur le patrimoine, réforme générale des impôts, qui demande un ample débat public à partir des propositions déjà élaborées, et plus grande progressivité de l’impôt sur les dons et héritages.
Moyenne et médiane
La moyenne est égale à la somme des revenus des ménages divisée par le nombre de ceux ci. Mais le revenu disponible moyen par ménage (34 450 euros par an en 2008 en France) ne dit rien des inégalités.
La médiane partage en deux parties égales. Le revenu disponible médian en France (50 % des ménages ont plus et 50 % ont moins) réduit le poids de ses hauts revenus (28 570 euros par an en 2008) , mais il amalgame des catégories sociales très différentes dans des sous-ensembles trop larges.
L’utilisation des déciles (la population est divisée par 10 %) permet une approche des inégalités mais là encore avec des limites (voir plus haut)
Pourquoi 1250€ ?
Le minimum garanti doit faire sens à la fois pour les salaires et pour les autres revenus connus et déclarés.
Le calcul sur le « seuil de pauvreté » peut servir de référence. Toute personne appartenant à un ménage dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian est considéré comme pauvre. (Le niveau de vie monétaire s’évalue en comptabilisant les revenus, en déduisant les impôts et en ajoutant les prestations sociales).
Notre but est de réduire cette inégalité en rapprochant les plus pauvres de la moyenne et en évitant la poursuite du décochage entre ceux-ci et le reste des salarié·es (rapport RSA/smic par exemple).
Le salaire médian (50% au-dessus ou au-dessous de ce chiffre) est de 1800€ ; le revenu moyen est de 2400€…
D’où la proposition : le revenu minimum au seuil de pauvreté, parce que nous avons pour but de faire cesser l’inégalité subie par quelques millions de personnes. Cette somme, de plus, correspondrait à 75 % d’un SMIC net revalorisé de 400€ d’augmentation.
1250€, ce n’est vraiment pas beaucoup mais double quasiment les « revenus » les plus bas (allocations diverses dont chômage pour les précaires et les temps partiels, RSA, et autres minimas sociaux).
Pourquoi un plafond de revenu ?
Avec une pyramide qui englobe 95% des salariés, si elle va d’une fois le SMIC à 4 fois ce seuil, les discussions concernent du bas de l’échelle salariale au salaire d’ingénieurs.
Changeons : le SMIC net doit augmenter de 400€ et se trouver à 1800€ et les autres salaires doivent être revus à la hausse. C’est assez simple (!) : 95% des salariés, dans ce cas seraient dans un éventail de 1 à 4 : 1250 x 4 = 5000/mois ; 60.000 dans l’année !
Cela suppose des discussions entre salarié·es et organisations syndicales … Il faut ouvrir un débat public sur l’utilité sociale des diverses professions pour établir un rapport de forces dans les secteurs à bas salaires et aux emplois dévalorisés. Il faudra que le mouvement syndical puisse organiser ces larges discussions, en faisant reconnaître aux patronats la légitimité de la présence syndicale, dans toutes les entreprises, toutes les branches.
Souvenons-nous que près de 50% des branches, spécialement celles où travaillent beaucoup de femmes ont des minimas de branche au-dessous du SMIC. Souvenons-nous de l’utilisation de sous-traitances de sous-traitants, y compris par l’Etat. Y compris dans les maquis de l’aide à domicile… Beaucoup de choses sont et seront à corriger.
Et les salaires au-dessus de ce « plafond » de 4 fois le SMIC ?
Avec ces situations, 5 % environ du salariat, il s’agit, la plupart du temps de fonctions spéciales, responsabilités, technicité… Il s’agit donc de situations qui doivent être connues et justifiées, publiquement, sous le contrôle des travailleurs/euses et des organisations syndicales. Aujourd’hui, la fixation de ces hauts revenus « salariaux » est une prérogative exclusive des directions d’entreprise.
Les cas discutés publiquement limiteront les arbitraires. De plus, les avantages monétaires devront s’accompagner de l’interdiction des avantages « boursiers », et être soumis à cotisations sociales y compris au-dessous de ce plafond.
La CSG doit disparaître au profit de cotisations sociales.
Des gratuités à construire
Au- delà des augmentations de salaires il faut des exigences sur le blocage des loyers et lutter contre les logements vides et la spéculation ; il faut augmenter le champ de la gratuité sur les besoins essentiels : supprimer les parts fixes des abonnements de fluides : eau, gaz, électricité, et instaurer une tarification progressive ; des transports gratuits, sans oublier le droit à la santé, l’éducation, la culture et la justice.
Il faut donc un lien entre un « bloc social » et un contrôle démocratique sur l’épargne des diverses couches riches de la population.
Et que deviendrait donc l’épargne ?
Après impôts, il restera des formes diverses d’épargne. Là se pose la question de démocratiser la façon de traiter cette épargne : on ne voit pas pourquoi, hormis privilège d’une classe voulant exercer le pouvoir, une épargne donnerait le droit de diriger des entreprises !
Une épargne à garantir, dans ce monde tel qu’il est ; elle peut parfaitement avoir un statut voisin du livret A, (avec un « plafond de défiscalisation, et de quel niveau ?) pour des sommes d’un niveau très différent : placée sous garantie publique, avec un taux de rapport qui au moins met à l’abri de la crise financière, des sommes peuvent rester de la possession des épargnants. Mais l’usage de ces fonds doit être sous le contrôle réellement démocratique : les usagers, les salariés, les syndicats, les collectivités locales discutent et font des choix. Un contrôle démocratique doit organiser les activités de la Banque Publique d’investissements et de la Caisse des dépôts ; des socialisations de secteurs stratégiques sont nécessaires pour satisfaire l’accès aux besoins fondamentaux de la population.
Se créerait ainsi une sorte de lien concret entre les initiatives qui changent les rapports à la nature et les formes de productions, avec des instances et des espaces de discussion pour que se fasse la confrontation démocratique. Cela relève de la socialisation démocratique de l’économie et de sa gestion sous des formes qui se rapprochent d’une autogestion généralisée.
Etienne Adam, Pierre Cours-Salies, Rémi Thouly
Le 10 mai 2020.