Tous les éléments de crise générale montrent une évidence : nous devrons reprendre les discussions au sujet de l’Europe. L’échéance des élections européennes de 2024 nous y poussera de toute façon.
Pour contribuer à un débat constructif, un texte – adopté en France à l’occasion de la campagne pour le « NON » au projet de Traité constitutionnel européen, en 2005 – mérite d’être relu. Entre avril et mai 2005, il a été publié dans la presse et sur de nombreux sites, sous le titre : « Propositions pour une relance européenne »
Un texte avec des limites
Un point questionne le positionnement des forces de « la gauche de gauche », ou de « la gauche anti-libérale »… peu importe ! Pas un mot n’est dit sur la guerre en Yougoslavie ni sur le massacre de Grozny et les 200 000 morts tchétchènes (1999), ni sur les décisions prises en 2003 pour les pays issus de l’ex-URSS1.
Pourtant, ce texte comporte un engagement internationaliste, au moins sur deux aspects. D’une part : « L’Union portera son aide au développement au moins à 0,7 % du PIB. Elle pèsera en faveur du Sud dans toutes les négociations et notamment celles de l’Organisation mondiale du commerce ». D’autre part : « L’Europe agira partout en faveur du désarmement et de la paix. (…). Elle se placera en rupture avec la politique agressive développée par les États-Unis, notamment dans le cadre de l’OTAN ».
Mais ce texte souligne une tâche oubliée aussitôt qu’écrite, mais qui reste toujours bien actuelle : « L’Europe agira pour la refonte du système des Nations unies, la réduction du rôle des membres permanents du Conseil de sécurité… ».
À voir l’éventail des sensibilités des participant·es, on serait heureux de retrouver, en 2022, les mêmes composantes avec des engagements actualisés. Cela constituerait même une avancée !
Un projet de redéfinition de l’Europe
La grande qualité de ce texte est la perspective mise en avant : « quoi proposer et faire en Europe après la victoire du NON ». Ses propositions s’inscrivaient dans la continuité des Forums sociaux européens, qui avaient commencé à formuler des exigences communes. Ces prises de position devaient donc s’accompagner de contacts, d’initiatives communes pour des objectifs eux-mêmes européens, c’est-à-dire regroupant des acteurs des mobilisations sociales et démocratiques, dans plusieurs pays en même temps.
Pour ne pas en rester aux discours mortifères nationalistes, on peut se remettre en mémoire les « Dix mesures immédiates » et y ajouter le paragraphe : « Une citoyenneté de résidence permettra à tous les résidents, quelle que soit leur origine et selon des conditions identiques, quel que soit l’État membre où ils sont établis, de bénéficier des mêmes droits civiques que les ressortissants de l’Union ». Cela porte à réfléchir de façon critique sur nombre de silences et de renoncements depuis !
Ce retour critique aurait intérêt à être poursuivi sur bien des aspects. Ainsi, au passage, « Le budget européen sera réévalué, pour faire face aux exigences d’intervention publique et, notamment, pour réussir l’élargissement ». À aucun moment, il ne s’agit de « sortir de l’Europe » ou de « Plan A » et de « Plan B ». Au lieu de faire comme s’il fallait jouer à « ce qu’on ferait si on était au gouvernement », le but de ce texte était de mobiliser autour d’objectifs communs. Et on peut voir comment certaines formulations prennent en compte les traditions politiques différentes des divers courants politiques.
Mais l’essentiel est souvent dit : « Un débat d’orientation doit être organisé chaque année sur la politique européenne, ainsi que sur les mandats confiés aux gouvernements et sur les positions qu’ils seraient amenés à prendre (…), en aucun cas l’OTAN ne doit être considérée comme une institution européenne. Le traité fixant le fonctionnement des institutions pourra être révisé. La majorité qualifiée suffira pour procéder à une révision. Toute modification substantielle sera ratifiée par un référendum. »
Que manquait-il à ce texte, rédigé en quatre semaines ? Une volonté commune de mettre en œuvre politiquement ce qui était écrit ? Sans doute. En effet, le non l’a bien emporté, mais les campagnes n’ont pas suivi ! Certain·es ont réduit les débats à l’art de « dénoncer » pour gagner des électeurs ! Au lieu de proposer de construire une véritable mobilisation, le populisme électoraliste nous a rendu·es impuissant·es à aider les Grecs en 2015.
Depuis la guerre décidée par V. Poutine au nom de la Grande Russie, nous voyons bien qu’il aurait fallu défendre, aussi, des institutions qui permettent une structure ouverte, entre l’UE et les pays de l’ex-URSS, et qui constituent un cadre démocratique.
En reprenant des buts tracés en 2005, il faut réaffirmer un projet d’Europe démocratique, porteur de propositions altermondialistes.
Pierre Cours-Salies (04 08 2022)
1 – En décembre 2002 est officialisée l’adhésion à l’UE de dix pays : Chypre, Malte et huit pays d’Europe centrale et orientale (PECO : Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie et Slovénie). Le 4 février 2003, après des années de guerre – et le bombardement de Belgrade durant soixante-dix jours en 1999 – le nom Yougoslavie est abandonné et le pays rebaptisé « Communauté d’֤États de Serbie-et-Monténégro ».