À l’occasion du Salon de l’Agriculture, la géographe très médiatisée, Sylvie Brunel, a été interviewée dans le Télégramme du 25 février 2023 sur son dernier livre, Arrêtons de maltraiter les agriculteurs. ¹
D’une part, elle généralise : « nos agriculteurs » sont opposés à la population urbaine qui, dès lors que « l’approvisionnement en nourriture ne semble plus être un problème, a cessé de les considérer », ainsi qu’au bio qui a voulu « s’imposer comme l’unique option, quitte à discréditer le conventionnel à coups de campagnes de dénigrement ».
D’autre part, elle tait les responsabilités d’un système agro-alimentaire industriel soutenu par les pouvoirs publics.
Quelles responsabilités du bio ?
« L’approvisonnement en nourriture ne semble plus être un problème » sauf en France, pour les huit millions de personnes qui recourent à l’aide alimentaire et à l’échelle planétaire pour le milliard de personnes qui souffrent de la faim. Or, cette agriculture industrielle / conventionnelle, nourrit 25% de la population mondiale sur 75% des terres cultivées. De plus, la nourriture industrielle contribue à la malbouffe qui alimente le surpoids, le diabète, les maladies cardiovasculaires, des cancers, etc. Pendant ce temps, les paysan·nes paient le prix fort, victimes de la pollution et des géants du système agroalimentaire et de la grande distribution qui imposent « petits prix et gros profits ». Ils et elles ne reçoivent que 6 centimes sur un euro alimentaire !
Les paysan·nes bio ont refusé de se soumettre aux injonctions d’un système qui les dépossédait de leurs savoirs et savoirs-faire et entendait les contraindre à des pratiques destructrices des écosystèmes nécessaires à l’agriculture écologique. Ces paysan·nes n’ont pas refusé les progrès techniques et scientifiques. Ils et elles les ont intégrés dans leurs pratiques. Ils et elles ont défendu leur autonomie et respecté les limites planétaires en réduisant leur empreinte écologique. Ce que Madame Burel appelle dénigrement est l’éclairage mis sur les dangers et les dérives de modes de production qui ignorent la diversité des terroirs et tuent la biodiversité.
Pour répondre aux exigences de rentabilité, il faudrait appliquer les économies d’échelle, la standardisation, quoiqu’il en coûte. Les animaux et les plantes mis au point par des millénaires d’observation et de sélection paysanne, déclarés obsolètes, sont remplacés par ceux qui sont nés en laboratoire en raison de leur haut potentiel de rendement et auxquels les milieux doivent s’adapter par la mécanisation, la robotisation, la chimie, etc. Les réussites des paysan·nes bio font vivre une alternative écologique à l’agriculture conventionnelle.
Quelle pression parasitaire ?
L’utilisation des pesticides serait justifiée par la pression parasitaire, bien réelle. On retrouve, dans la réponse, la démarche de l’agriculture industrielle. Un problème ? Une solution. Une démarche en silo, qui ignore la réalité systémique du vivant. Plus on utilise de pesticides, plus on détruit le vivant et plus on affaiblit la résistance aux ravageurs. La course au gigantisme a, en plus, conduit à la monoculture qui renforce la « pression parasitaire ».
Mais l’agriculture subit aussi la pression parasitaire du système agro-industriel. En amont, elle est un débouché pour de nombreuses industries et banques. En aval, c’est un minerai pour les Industries Agro Alimentaires et la grande distribution.
Si les paysan·nes en bavent, c’est que les prix agricoles sont devenus une variable d’ajustement des profits des groupes concernés et que la modernisation menée par l’agrobusiness et l’État coalisés a consisté à remplacer les hommes par les machines et la chimie. Au nom de l’amélioration de la condition paysanne, la modernisation a vidé les campagnes. Des millions de paysan·nes ont été éliminé·es, certain·es poussé·es au suicide. Or, « seules, 35% des terres cultivées appartiennent aux agriculteurs qui les travaillent ». Plus grave, le foncier est devenu un élément de spéculation. Des grands groupes intègrent les terres et les ouvrier·ères agricoles dans leurs filières de production et font exploser le prix du foncier, le rendant inaccessible aux agriculteur·rices.
Il faut ajouter à ce tableau les dégâts du libre échange, de la distribution d’une grande part des aides de la PAC par ha imposés malgré les demandes (protection contre le dumping par des prix d’entrée minimum, aides de la PAC par actif agricole, etc.) des agriculteur·rices installé·es dans des fermes à taille humaine. Les clivages de Madame Burel – agriculteur·rices conventionnel·les maltraité·es par les consommateur·rices urbain·es et les paysan·nes bio – relèvent d’une analyse hors sol. Cette analyse ignore les politiques convergentes de l’État et du système agro-alimentaire, lesquelles profitent aux actionnaires et lèsent les populations urbaines exploitées comme les paysan·nes qui s’acharnent à produire en harmonie avec la nature.
Les réussites de l’agriculture paysanne écologique montrent que la modernisation agricole peut respecter le vivant en faisant de l’agriculture et de l’alimentation des biens communs, donc l’affaire de toutes et tous.
1. – Sylvie Brunel : « Comment pouvons-nous maltraiter à ce point nos agriculteurs ? », Le Télégramme du 6 mars 2023
Danièle, le 4 mars 2023