Représenté au Forum de Marseille par Alima Boumediene-Thiery et Jean-François Pellissier, le mouvement Ensemble! était donc présent durant les deux jours de débats et discussions.
Alima Boumediene-Thiery, avocate, membre d’Ensemble! depuis 2014, autrefois membre d’EELV, fut député européenne de 1999 à 2004 au sein du groupe Verts/ALE, puis Sénatrice de Paris de 2004 à 2011, est aussi une militante sur les questions migratoires et des réfugiés.
Jean-François Pellissier, ancien membre des Alternatifs, conseiller régional de la Région Île-de-France de 2010 à 2015, il est aujourd’hui co-porte-parole d’Ensemble!.
L’Europe Autrement : Qu’attendez-vous du Forum de Marseille, et qu’espérez-vous qu’il en émerge ?
Alima Boumediene-Thiery : Tout d’abord une réflexion sur l’Europe et sur demain, sur ce que vous nous volons faire de cette Europe, mais aussi un échange, car c’est important d’établir un dialogue entre les différentes forces. Aujourd’hui, malheureusement, dans chaque pays européen, la gauche est très divisée, la France n’étant pas exclusive sur ce point, regardez la Grèce par exemple, mais aussi d’autres pays. Or en même temps on a une montée énorme de l’extrême droite, des mouvements nationalistes et racistes, et cela nous pose problème, car si face à ces mouvements nous n’arrivons pas à faire un front uni, nous sommes perdants. L’unité est un combat !
Jean-François Pellissier : Dans le prolongement de ce que dit Alima, on voit aussi qu’en Europe, la division crée le désespoir. Mais on voit aussi qu’il y a un mouvement altermondialiste qui se développe, alors moi ce que j’attends de ce forum, c’est qu’il devienne permanent et qu’il puisse faire la jonction avec les mouvements sociaux, de manière à pouvoir unifier nos forces sur les questions européennes pour avoir une vraie Europe émancipatrice, pour les droits des migrants, l’écologie, etc…
L’E-A : Aujourd’hui sont présents des membres de Podemos, de Syriza, du Parti Communiste Français, du M1717, du Parti Socialiste, et d’Ensemble! avec vous. Donc avec qui devons-nous rassembler, et jusqu’où doit aller ce rassemblement, et où ces convergences devront-elles nous porter ?
J.-F. P. : C’est une question compliquée, mais dont la réponse est finalement assez simple, puisque vous nous parlez de périmètre politique. C’est la rupture avec les libéraux, leurs politiques et leurs traités. Je n’ai pas de religion sur les ex-PS ou autres, mais il est vrai que je ne suis pas contre l’Europe mais pour une autre Europe. Si l’on arrive pas à renégocier tout cela, il va aussi falloir rompre avec les traités, et d’ailleurs, à Ensemble!,  nous sommes sur deux démarches : membre partenaire du Parti de la Gauche Européenne, mais en même temps nous avons une équipe de jeunes économistes qui travaille pour un plan B, et notamment lors d’un sommet à Lisbonne récemment. Nous marchons sur deux jambes.
A. B.-T. : Il est clair pour moi que quand je parle de d’union, je ne parle pas seulement de l’union des partis politiques mais je parle aussi de l’union des mouvements sociaux, des associations, de ceux qui se battent, parce que je pense qu’il faut aujourd’hui aller au-delà du périmètre partisan. Je n’ai rien contre les partis de gauche du moment qu’ils sont entrés en rupture avec les politiques d’austérité et les politiques racialisantes d’aujourd’hui. Une fois qu’ils ont fait cette rupture, on est dans la gauche, mais je le dis et je le répète, cette gauche ne peut pas se construire sans les associations, les gens qui sont sur le terrain, qui se battent tous les jours, que ce soit du côté de l’éducation populaire, des sans-papiers, des sans logements, des sans droits, car c’est eux qui font l’Europe aussi, et l’Europe de la solidarité, de l’égalité et de la justice elle se fera avec eux, ou elle ne se fera pas.
J.-F. P. : Pour simplement compléter les propos d’Alima, il est vrai qu’il faut faire l’union avec le mouvement social, mais par exemple, j’étais à un colloque à Athènes il y a trois ans sur la privatisation de l’espace public (aéroports, terres agricoles, etc…), où il y avait des mouvements altermondialistes. Cette convergence elle existe en France aussi, il y a par ailleurs des groupes européens mais qui ne se rencontrent pas, mais je pense que si l’on veut être ambitieux dans ce forum, il faut par la suite s’adresser aussi à ces mouvements là pour faire un mouvement ensemble. A notre université d’été d’Ensemble! il y a 15 jours, nous avons eu un forum sur les migrants, et que ce soit les gens de la Roya, des associations et des mouvements politiques présents, tout le monde se disait que par exemple sur l’accueil des réfugiés et des migrants, nous perdrons sans cette large union.
L’E. A. : Sur la question des migrants, qu’a fait ou non l’Union Européenne, et qu’aurait-elle du faire selon vous ? Comment, nous européens, pouvons-nous venir en aide aux migrants ?
A. B.-T. : Etant avocate, je m’occupe des migrants en particulier, et notamment des gens qui aujourd’hui sont déboutés du droit d’asile, ou ce que j’appelle victimes de la convention de Dublin, les « dublinés ». Je crois que l’Union Européenne s’est fourvoyée en signant une telle convention, car l’on n’ose pas expulser des gens qui sont en fait des réfugiés qui fuient la guerre, où les armées bombardent, mais de l’autre côté, personne n’en veut pas non plus, donc on se refile la patate chaude si je puis dire, et on les envoie au Danemark, qui eux les renvoient en Afghanistan, ou en Italie ou en Grèce qui eux ne peuvent plus les prendre, ou en Hongrie ou en Bulgarie, où ils font de la prison avant d’être renvoyés dans leur pays, et tout cela car l’on est pas capables de faire une véritable politique européenne. Je considère que l’on devrait aujourd’hui faire en sorte qu’un demandeur d’asile soit un demandeur d’asile européen, et quel que soit le pays d’Europe où il demande son statut, il le demande quel que soit l’état. C’est-à-dire que lorsque la France reçoit une demande d’asile, elle doit l’examiner comme un réfugié qui demande l’asile à l’Europe et non pas à la France, et ça je crois que c’est absolument important. Pour cela il faut donc abroger la Convention Dublin, qui n’est que néfaste car elle criminalise les gens, elle les remet en centre de rétention, etc… Il y a des contradictions qui ne sont pas possibles ! La Cour de Justice Européenne et des résolutions du Parlement européen nous le disent, un réfugié ne doit pas être incarcéré, c’est-à-dire il ne doit pas aller en prison, or aujourd’hui on le met en rétention administrative, mais la rétention administrative c’est justement la prison, ce n’est pas le même nom mais ça reste la prison. D’autre part, lorsqu’un réfugié, qui a traversé des pays en guerre, arrive, on lui demande énormément de justificatifs, trop de justificatifs, comme s’il allait arriver en traversant des frontières avec des papiers plein les poches. Des papiers qui prouvent que son village a été rasé ou bombardé, c’est complètement absurde, alors que l’on sait très bien par les informations internationales et aux différents comités, que tel ou tel endroit a été bombardé ou que tel ou tel village a été rasé. Malgré cela on est pas capables aujourd’hui de mettre en commun ces moyens technologiques qui nous permettraient de ne pas être obligé de mettre au pied du mur des migrants en leur disant « vous ne m’en apportez pas la preuve », et de l’autre côté on les renvoie au Danemark qui fait des charters, alors même que c’est interdit en Europe, sur l’Afghanistan, or on sait qu’en Afghanistan il y a des talibans, et on ne sait pas ce qu’il va advenir de leurs vies. Quand on voit qu’il y a des femmes et des enfants alors que l’on a un droit international européen qui protège les enfants, les enfants de migrants ne sont pas protégés, c’est sélectif ! On pourrait continuer comme cela pendant des heures ! Sur la question des migrants, sur la question de RODAC et FRONTEX, il y a à repenser, je ne dis pas que tout est mauvais, mais il faut repenser et retravailler ces outils, mais pas les retravailler dans une idéologie de protection, dans le sens où l’on protège la forteresse Europe, mais dans un objectif de solidarité avec tous ces peuples qui viennent aujourd’hui car ils ont été bombardés. On doit les accueillir comme des gens forcés à partir. L’Europe a commencé à travailler dessus mais pas suffisamment, et j’espère que notre groupe, notre forum, je ne sais pas ce qui peut sortir de cet espace, va retravailler sérieusement sur cette question.
J.-F. P. : Sur le point de vue juridique, à Ensemble!, nous sommes pour la libre-circulation et installation des migrants, et je crois qu’il faut aussi déconstruire le discours sur les migrants, la gestion étant complètement libérale…  FRONTEX par exemple, c’est l’externalisation des frontières et l’argent que l’on donne à des milices privées, alors que c’est de l’argent que l’on peut mettre pour un accueil digne des migrants, ça c’est le premier point, et le second, c’est, je crois pour les politiques, que l’on n’intègre pas le discours administratif qui fait la différence entre réfugié et migrants même si sur le plan international il y a des conventions. Par exemple le droit d’asile c’est dans les conventions internationales, mais l’Europe s’assoit dessus.
A. B.-T. : Là-dessus il faut faire très attention, car la convention de Genève c’est une protection, donc à mon sens il faut la garder cette protection, mais en même temps il ne faut pas qu’elle soit fermée, il la faut ouverte. Par exemple, les réfugiés économiques et environnementaux sont des réfugiés, maintenant la différence avec les migrants, se sont des familles qui viennent pour s’installer et travailler. Aujourd’hui, avec l’externalisation, pour demander un visa, on va dans une agence privée qui examine le dossier, et donne ou non le visa, et c’est ce qui est grave, car l’on paie les agences privées, ce qui fait que les états se déresponsabilisent complètement. D’autre part on sait très bien qu’il y a une injustice : il y a des citoyens de certains états qui peuvent venir sans visa, alors que d’autres citoyens de ces mêmes états devront obligatoirement avoir un visa. Il y a des conventions qui disent par exemple que les israéliens n’ont pas besoin de visa pour venir en France mais quand quelqu’un vient de Ghaza ou de Cisjordane, il est obligé de passer par le visa. C’est un vrai problème, car l’on alimente l’injustice et les inégalités.
J.-F. P. : Quand on parle de libre circulation et de liberté d’installation, l’effet est pervers à partir du moment où l’on ne peut pas aller ou venir librement. Ce peut être un choix, mais quand ils sont réfugiés ce n’est pas un choix, or ils savent que s’ils repartent dans leur pays ils ne peuvent pas revenir en France par exemple, donc c’est complètement pervers.
A. B.-T. : Ils « grillent » leur visa, et ne repartent pas car ils savent qu’ils n’en auront pas deux, et préfèrent vivre sans papiers en Europe. Or s’il y avait une vraie libre-circulation qui permettrait à ces gens d’aller et venir, on n’aurait pas ces soucis.
J.-F. P. : Evidemment la question de la sécurité est une question sérieuse, mais il faut arrêter avec ce discours de forteresse Europe soi-disant assiégée.  Il suffit de lire Catherine Wihtol de Wenden, et l’on se rend compte que 80% des migrations sont régionales, c’est à dire d’Afrique à Afrique, d’Asie à Asie, donc l’UE a largement les moyens de faire une politique d’asile et d’accueil digne des migrants et réfugiés. Je pense que c’est très important sur la question des droits humains, que l’UE développe cette politique d’accueil.
L’E. A. : La question de l’Euro n’est pas une question qui fait l’unanimité à gauche : Plan A / Plan B ou non, etc… Quelle est votre position sur cette question ? Peut-on arriver à converger sur cette question, ou cette question est-elle trop clivante ?
J.-F. P. : Tout dépend comment l’on considère l’euro. Je considère que c’est une monnaie commune, mais à travers elle, nous sommes liés à des traités qui contraignent les politiques budgétaires des pays. Il faut un plan A pour changer l’Europe et les traités sur les questions budgétaires, sécuritaires, austéritaires, et si l’on n’y arrive pas il faut envisager un plan B. Ce qui est arrivé à la Grèce, qui est tombée sous les fourches caudines de la Banque Centrale Européenne, indépendante je le rappelle, en est un exemple. Il est vrai que Syriza aurait été dans une meilleure position de négociation sur la dette s’ils avaient prévu un plan B.
L’E. A. : Donc pas de plan A sans plan B ?
J.-F. P. : Oui, car comme nous ne sommes pas naïfs, il y a un rapport de force, mais il faut un front commun en Europe sur le pan B pour imposer d’autres politiques européennes. Sans plan B on perd, car ce sont les libéraux et les lobbyistes qui tiennent le pouvoir aujourd’hui, les états n’ayant pas réellement la main sur les politiques monétaires. Il faut qu’il y ait une réappropriation par les pouvoirs publics des politiques car l’euro est un moyen d’échange, pas une fin en soi.
A. B.-T. : Le problème ce n’est pas sortir ou non de l’euro, il faut être réaliste, c’est un faux problème. Etre réaliste c’est se dire que l’euro peut être un atout pour les peuples, mais cependant on doit se réapproprier sa gestion, on doit sortir des politiques d’austérité, et on doit surtout ne pas laisser le pouvoir aux banques. L’euro est une communautarisation des monnaies nationales, donc on doit aussi communautariser les politiques financières et fiscales, car tant que l’on n’ira pas vers cela on restera avec un outil européen, mais une politique nationale qui donne le pouvoir à la BCE. Or si on ne veut pas cela, on est obligé de se dire, que l’on doit dépasser nos limites, garder une souveraineté certes, mais dépasser nos limites pour mettre ensemble une véritable politique qui aille en faveur des peuples, et pour cela toutes ces questions, et celle de la dette en particulier, doivent être gérées autrement.
Propos recueillis par Hugo Carlos. Publié sur le site de l’Europe Autrement.