Le 11 ème Congrès du Bloco de Esquerda s’est clos les 10 et 11 novembre 2018, faisant le bilan de l’attitude du parti vis-à-vis de la « geringonça »1 et esquissant les perspectives d’action européenne et nationale.
Les principaux résultats de ce congrès sont les suivants : la motion majoritaire, « Renforcer le Bloco pour changer le pays » confirmant la ligne d’action suivie depuis le précédent congrès, a été très largement adoptée avec 459 voix, contre 40 pour la motion M et 9 pour la motion C. Celle qui l’avait présentée, Catarina Martins, 45 ans, est confirmée comme porte-parole nationale du Bloco, et Marisa Matias, 42 ans désignée comme tête de liste du parti pour les prochaines élections européennes.
Selon le Bloco, le pays a connu des changements depuis 2015 « parce que le PS n’a pas eu de majorité absolue et que la gauche s’est renforcée ». Catarina Martins a rappelé que « le PS disait avant 2015 que le problème n’était pas l’austérité, mais le rythme auquel elle était appliquée », et que si ce parti avait pu imposer la totalité de son programme « les retraités auraient perdu l’équivalent de deux mois de leur pension par an ». Selon la dirigeante, « ce qui s’est produit en 2015, c’est la mort du vote utile et la possibilité pour le peuple de se faire respecter ». La gauche n’a pas eu la naïveté d’entrer au gouvernement, mais a contraint le PS à accepter son soutien parlementaire sous conditions, de sorte que pour la première fois depuis très longtemps on a connu une législature où les gens ont gagné des droits au lieu d’en perdre de plus en plus. En revanche la réforme du travail n’a pas avancé.
Dans son bilan Catarina Martins n’a pas esquivé les erreurs de parcours, comme l’affaire qui a amené à la démission du conseiller municipal du Bloco à Lisbonne2 : « voilà comment on corrige les erreurs au Bloco : on n’a pas changé de sujet, on ne s’est pas tu, on poursuit la lutte contre la spéculation immobilière, pour la construction de logements sociaux, pour la limitation des locations touristiques à court terme, pour l’accès à des baux de long terme, pour la défense des personnes âgées, de celles qui sont menacées d’expulsion, pour l’installation des jeunes dans la ville. »
Catarina Martins a proposé de reconduire Marisa Matias comme tête de liste aux prochaines élections européennes : « C’est une eurodéputée infatigable, et bien plus que cela, une militante présente dans tous les combats, des luttes environnementales aux droits des travailleurs, aux droits humains, sur la santé, la dénonciation des paradis fiscaux, du commerce des armements… une combattante reconnue nationalement et internationalement. »
Pour la motion M — qui n’a pas présenté de candidatures au bureau national du parti — Inês Ribeiro Santos a considéré que le parti s’est affaibli parce qu’il a perdu en radicalité à force de mener prioritairement le débat dans les medias et dans le travail bureaucratique et parlementaire, en confondant les moyens et les fins, sans stratégie claire. Elle veut un « Bloco de combat » clairement orienté vers une alternative anticapitaliste aux politiques néolibérales, et qui ne soit plus « un parti-fantôme qui n’est ni au gouvernement ni dans l’opposition » ; pour cela, il doit proposer « la renégociation de la dette ou même son non-paiement », une économie autosuffisante et écologiquement soutenable, ainsi que la lutte contre la perte des droits.
Pour Francisco Pacheco, au nom de la motion M, ce n’est pas la même histoire : « les conquêtes sectorielles ne peuvent masquer la réalité de la crise permanente : bien plus qu’une geringonça de la restauration des droits, ce qu’on a c’est celle de la stagnation des salaires » La réalité portugaise ne fait pas exception à la règle : « la crise et le mécontentement sont le quotidien de la majorité du peuple : il y en a toujours plus qui touchent le salaire minimum et sont livrés à la précarité ». Aussi faut-il engager une discussion sérieuse sur l’avenir du Bloco, « réaffirmer la lutte des classes contre les responsablse de la crise et répondre à la mence du nouveau populisme de la vieille extrême-droite qui oppose hommes et femmes, hétéros et homos, travailleurs et travailleurs » On ne peut s’offrir le luxe de recommencer cette expérience de gouvernement ; il faut « un parti mouvement, antisystème, anticapitaliste, radical, un parti qui s’enracine dans la rue et les lieux de travail peut disputer les majorités, le pouvoir et l’hégémonie sociale et ne pas se contenter d’être le chiffon rouge du pouvoir ».
Pour sa part la motion C, Américo Campos a rappelé la naissance du Bloco il y a vingt ans : deux organisations révolutionnaires se sont unies et ont créé le Bloco, avec des contradictions, et s’est interrogé : « comment des groupes révolutionnaires peuvent-ils créer une formation réformiste alors que la révolution est le seule chemin ? ». Le Bloco doit « renforcer sa démocratie interne, et lutter contre les tendances à l’institutionnalisation ».
Pulo Teles pour la motion C pour sa part fait un bilan « globalement positif » de la trajectoire du Bloco ces deux dernières années, « mais il était possible d’aller plus loin » . Il manque encore « un effort plus grand pour s’organiser localement en dehors des grandes villes », et « on n’a fait qu’un premier pas pour que le travail parlementaire ne soit plus le centre de l’action politique » Il ne doit pas y avoir d’alliance préélectorale avec le PS ou le PCP, on ne doit pas entrer dans un gouvernement avec le PS. Au cas où il obtiendrait la majorité absolue, « nous devons être l’opposition », alors que s’il n’y arrive pas « il faudra exiger du PS ce qu’il a refusé au camp populaire lors de ce dernier mandat ». En aucun cas il ne faudra porter « la responsabilité des politiques droitières du PAS ».
En réponse aux minoritaires, les tenants de la motion majoritaire ont contesté ces analyses. À ce stade, la droite semble hors-jeu pour les prochaines élections, encore plus depuis que le PPE a pour candidat à la présidence de la Commission Européenne Manfred Weber, qui fut à l’initiative de « la pire attaque depuis 2015 contre la démocratie dans notre pays en demandant à l’UE de se venger du peuple portugais en le sanctionnant pour avoir voté à gauche ». À ceux qui critiquent l’institutionnalisation du Bloco, ou qui l’accusent d’être soumis au PS : « si on est soumis au PS, pourquoi António Costa, le chef de ce parti, est si énervé contre nous ? » et institutionnalisé, le Bloco « on est dans les luttes contre les expulsions, celles des travailleuses de Triumph, des habitants menacées victimes de crimes environnementaux comme la pollution du Tage ou les forages pétroliers à Aljezur ; on est dans la rue avec eux, c’est l’ADN du Bloco. On milite dans les mouvements sociaux, pas dans les salons ou chez les parlementaires vissés à leur banc… Nous nous attaquons à l’élite qui cherche à faire croire aux gens qu’elle est la seule à pouvoir gouverner notre pays. Pour eux, nous sommes une anomalie dans leur système, qu’il faut combattre. Si on leur fait tellement faire de souci, qu’est-ce que ça sera quand le Bloco va se renforcer dans les urnes ? »
Les grands enjeux du gouvernement qui devra être mis en place en 2019 seront  cinq axes fondamentaux : la restauration des droits des travailleurs ; la refondation des services publics, la stratégie de décarbonisation de l’économie ; l’accroissement des investissements publics ; la souveraineté alimentaire. Sur ces questions, « la seule certitude, c’est que le Bloco sera là, et bien là ! ». Il est clair que ce programme est incompatible avec le Traité Budgétaire de l’Union Européenne, et qu’il suppose un combat démocratique contre l’autoritarisme de la Commission, dont l’orthodoxie n’est certainement pas une barrière à la xénophobie montante en Europe, mais au contraire son allié le plus sûr. D’où le mot d’ordre de la motion « É tempo de ser exigente» « C’est le moment de se montrer exigeant-e-s ».
Jean-José Mesguen, d’après le site esquerda.net
1 En portugais, le « machin », nom donné à une configuration inédite dans le système politique portugais, celle d’un gouvernement PS minoritaire au parlement avec le soutien sans participation du PCP et du BE, suite à des négociations qui ont contraint le PS à abandonner une partie de son programme d’austérité « de gauche » et de soumission totale à la Commission de Bruxelles.
2 Le conseiller municipal Ricardo Robles, accusé d’avoir revendu très cher, après l’avoir restauré, un bien immobilier qu’il avait acheté bon marché a du démissionner.