Les élections européennes achevées, un nouveau président de la Commission européenne doit être désigné pour remplacer Manuel Barroso. Les chefs d’Etat et de gouvernement proposeront un nom à l’issu d’une réunion les 26 et 27 juin qui sera ensuite soumis pour ratification (ou non) au Parlement européen. Le Parti Populaire Européen (PPE) qui dispose du groupe parlementaire le plus important avait désigné comme candidat Jean-Claude Juncker. Mais le choix de l’ex-premier ministre luxembourgeois est loin d’être assuré, et d’autres noms pourrait émerger. Le traité de Lisbonne, le permet, celui-ci indique en effet que le choix doit se faire «en tenant compte des élections au Parlement européen» , ce qui est bien vague.
Entre Juncker, Michel Barnier ou Christine Lagarde éventuellement un ou une autre, la gauche radicale a-t-elle un candidat ? Cela n’a rien d’évident. Dans une lettre aux parlementaires de son groupe (GUE/NGL), Jean-Luc Mélenchon a récusé tout soutien au candidat du PPE : « Notre groupe ne doit être engagé d’aucune manière dans cette logique institutionnelle conduisant à soutenir directement ou indirectement un candidat de droite à la présidence de la Commission ».
Pourtant Alexis Tsipras dans le cours de la campagne des européennes, puis Pierre Khalfa dans une récente tribune nous enjoignent de soutenir la candidature de Jean Claude Juncker pour des motifs démocratiques. Ce dernier conclut ainsi son propos : « Ce serait un coin enfoncé dans une conception de l’Europe qui donne tout pouvoir aux gouvernements, ceux-ci décidant à Bruxelles entre eux, et sans aucun débat démocratique, des politiques qu’ils mènent dans leurs pays. »
L’argument paraît bien faible, d’abord pour des raisons d’opportunités. Par millions les européens viennent d’exprimer leur immense défiance vis à vis de la Communauté européenne. Par une abstention massive, par un vote dévoyé au profit de formations populistes et racistes voire ouvertement fascistes et dans une moindre mesure en apportant leurs suffrages à des partis de la gauche radicale, les peuples européens ont exprimé que tout simplement ils n’en peuvent plus. Et la bonne idée, les élections tout juste achevées, seraient d’aller soutenir un des principaux protagonistes des politiques libérales en Europe ? Ce serait absolument incompréhensible.
La défense d’une telle position au nom d’un rééquilibrage entre gouvernements et Parlement européen au profit de ce dernier paraît bien étrange. D’abord parce que l’éventuelle distorsion entre ces deux structures reste pour le moins à démontrer. Les deux principaux groupes, PPE et PSE, ont fait en sorte que tous les traités soit toujours avalisés par le Parlement. Certes le traité de Lisbonne a ouvert la voie d’un choix du président de la Commission qui pourrait passer par les électeurs eux-mêmes. Mais ce traité est surtout celui qui a permis d’instaurer l’essentiel du Traité Constitutionnel Européen malgré le refus de plusieurs pays dont la France en 2005 par référendum. Nous ne reconnaissons pas ce traité.
Enfin, plus ennuyeux, on perçoit mal avec une telle approche ce que serait la « désobéissance » aux traités si jamais la gauche radicale l’emportait dans un pays. Car soit les gouvernements décident soit on anticipe que le cadre fédéral est achevé et que débats et décisions devraient se faire dans le cadre du Parlement européen. Mais si tel est le cas, il n’y a plus d’espace pour une désobéissance et une confrontation menée par un ou plusieurs pays et il faut attendre d’être majoritaire en Europe. C’est attendre Godot.
Au sein de la gauche radicale, il existe un débat sur le degré d’affrontement avec la Commission européenne. Sur l’Europe, sur l’Euro des voix s’élèvent pour dire qu’un clash serait inévitable voire souhaitable. C’est aller un peu vite en besogne, et des marges de manœuvres existent surtout s’il s’agit d’un pays au poids démographique et économique conséquent. On ne peut donc présager l’issue d’une éventuelle négociation. Mais à l’inverse, le clash est-il exclu à priori ? C’est semble t-il la position de Pierre Khalfa. Lorsque Cédric Durand pose la question « Si la gauche radicale est en position de gouverner dans tel ou tel pays, va-t-elle négocier les conditions d’application de son programme avec Barroso, Draghi, Merkel ou leurs successeurs ? »1 . La réponse de Pierre Khalfa est la suivante : « Il faudra évidemment porter la division parmi nos adversaires, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, passer des alliances tactiques, avancer certes hardiment, mais, sous peine de catastrophe, tenir compte des rapports de force, savoir hiérarchiser les objectifs et distinguer ce qui est le plus important à un moment donné pour pouvoir faire des pas en avant ». Une telle approche désarme en réalité la gauche radicale. Appliqué à un pays comme la Grèce, on voit mal ce que les rapports de force existants permettraient d’apporter si d’emblée et quoiqu’il arrive on annonce qu’on restera dans le cadre de l’Europe.
En appelant à voter pour Juncker, Alexis Tsipras pense sans doute créer un précédent dans l’optique des législatives grecs de 2016 où Syriza pourrait arriver en tête sans avoir de majorité. Le signal envoyé serait pourtant de la plus extrême confusion, rangeant le groupe GUE/NGL parmi les tenants d’une construction européenne décriée.
Ce serait une faute politique.
Guillaume Liégard
1L’Europe à bras le corps, Cédric Durand et Des commentaires de Pierre Khalfa à l’article de C. Durand in Contretemps 21