Plusieurs raisons poussent à ce que l’affaire passe quasi inaperçue.
° Elle s’est jugée à Luxembourg, connu davantage comme paradis fiscal que pour abriter la Cour de justice européenne.
° Elle tranche d’un litige juridique deux ressortissants roumains s’estimant lésés dans le versement de leurs prestations sociales et l’Agence pour l’emploi de Leipzig.
° Elle est approuvée, à hauts et bas cris, par tout le spectre politique français, du FN au PS…
Et pourtant !
Pourtant une digue vient de sauter, dynamitée par une institution européenne à priori fort respectable. Et nul ne peut présager l’ampleur de l’inondation qui s’ensuivra.
En effet, est instaurée par cette décision européenne une différenciation juridique entre ressortissants d’un même pays selon qu’ils sont « nationaux » ou « autres européens ». Les seconds n’ayant pas droit à certaines allocations sociales, dès lors qu’ils sont estimés ne pas chercher véritablement un travail. « La liberté fondamentale de circulation ne signifie pas liberté totale d’accès à l’aide sociale » commente la Commission européenne.
Donc, la liberté de circulation et d’installation au sein de l’UE n’autorise pas à avoir accès à toutes le prestations sociales existant en tel pays. Et validé le soupçon que certains ne se déplacent et ne s’installent que pour profiter d’avantages sociaux. Ce qui est possible sur le plan fiscal ne saurait l’être dans le domaine social !
Comment ne pas voir que c’est la notion de « priorité nationale » (que le FN pour esquiver l’accusation de racisme a substitué à celle de « préférence nationale ») qui se voit légitimée ?
Et qui ne voit combien glissante est la pente ?
Si des exigences spécifiques sont imposées à des ressortissants européens  mais non nationaux, que va-t-il en être pour les ressortissants non seulement non nationaux, mais non européens ? Or, ceux-là sont nombreux, fort nombreux, et représentent une cible autrement plus ample et facile à atteindre que des petits malins qui cherchent à grignoter quelque prestation sociale. « Si on considère en effet que l’accès aux prestations sociales doit être encadré pour les ressortissants de l’Union européenne, on doit, dans la même logique, appliquer un traitement au moins aussi rigoureux aux extra-européens », pouvait-on lire dans un éditorial du Figaro titré « L’Europe dans le bon sens » (sic).
Au sein de la droite française, obsédée par le thème de l’immigration, depuis des mois on s’agite sur l’Aide médicale d’État, accusée  de coûter près d’un milliard d’euros. Privilégier les nationaux dans la mise en oeuvre des politiques sanitaires, voilà la bonne idée qui va réjouir les virus, étrangers aux règles de la priorité nationale !
La Cour de justice de Luxembourg, pour européenne qu’elle soit, vient de rendre un fieffé service aux souverainistes de tout poil. Quand à ces derniers il va leur falloir allonger le pas pour rattraper le Front national, lequel proclame ce qu’ils disent, depuis plus longtemps et clairement qu’eux.
Le monde politique et médiatique valide et popularise la formule « tourisme social ». Il s’agit d’une véritable bombe à fragmentation ! Des touristes ? Plutôt des pauvres, qui ont l’audace de circuler en Europe pour échapper à la misère. Quant à ceux qui déplacent leurs millions d’euros, ils ne sont pas touristes, et moins encore soucieux du social. Ni coupables, ni visibles !
Francis Sitel