Au moment où l’observatoire des inégalités publie son bilan annuel du CAC40 (https://multinationales.org/fr/enquetes/cac40-le-veritable-bilan-annuel-2022/)

  • qui bat des records de profits en 2021 (157 milliards €) et au premier semestre 2022 (72,8 milliards),
  • qui verse à ses actionnaires des dividendes record sur les profits 2021 (57,5 milliards) et a battu, en 2021, un record de rachats d’actions (22,4 milliards €),
  • qui voit son taux effectif d’imposition nettement diminuer entre 2020 et 2021, passant de 37,6 à 25,4 %,
  • qui augmente ses patrons de 52% par rapport à 2020 et de 26% par rapport à 2019,

…les forces du centre droit et de la droite s’unissent pour réduire les allocations chômage sans se préoccuper des conséquences sur les plus précaires ni sur les finances des collectivités qui subiront le poids de l’appauvrissement ( par l’aide sociale et les CCAS).

Le RN idiot utile supplétif de la droite

Avec des gesticulations qu’il veut sociales, le RN fait semblant de faire bande à part, malgré le mépris pour les « assisté.es » qu’il a manifesté à diverses reprises.

Comme le RN a refusé l’augmentation du SMIC (donc des cotisations) pour satisfaire ses soutiens patronaux, il ne s’oppose pas aux régressions sociales de la loi chômage. Il ne propose que la préférence nationale et la suppression des cotisations sociales. Par leur absurdité, ces propositions alternatives visent à conforter la crédibilité des projets gouvernementaux. Comment croire à la préférence nationale au moment où les entreprises, mais aussi les services publics, font appel à des travailleurs et travailleuses migrant·es en situation plus ou moins légales. Au moment aussi où patronat et politiques de droite se mettent d’accord pour légaliser certains sans papiers à la tête du client. Pour ne pas trop déplaire aux tenants de la xénophobie, Darmanin parle des bons et des méchants. Quant à la suppression immédiate des cotisations qui financent la sécu et qui, d’après le RN, permettrait d’augmenter de 10 % les salaires, elle ruinerait la protection sociale. Par l’inconsistance de ses propositions, le RN cautionne, de fait, la politique du gouvernement. Son incompétence sur le sujet de l’assurance chômage le fait remplir là le rôle d’idiot utile de la droite.

Le RN n’a pas un programme économique fondamentalement différent. Il est rallié au libéralisme (pas un mot sur la mise à contribution des dividendes et des gros patrimoines) surtout depuis qu’il a compris la dimension autoritaire de ce dernier. De plus, le RN joue sur les peurs et l’insécurité. La précarité est une insécurité sociale majeure qui, faute de perspectives autres de transformation de la société, appelle à un État fort, protecteur de l’identité.

LR et macronistes d’accord

Il s’agit bien de la droite qui se réunit sur les mesures antisociales, sans apparemment trop de problèmes pour trouver un compromis politique : « Je tiens à saluer l’esprit constructif et le dialogue qui a prévalu durant nos travaux ; je me félicite que des discussions de fond aient été engagées sur l’ensemble des articles. Le texte que nous vous proposons valide en partie le projet de loi initial, complété des dispositions que les rapporteurs assument. » se félicite Ferracci le rapporteur maconien. En écho, le député LR Viry acquiesce : « Ce texte de compromis est une esquisse1On y voit là la touche de la majorité sénatoriale et d’une opposition constructive à l’Assemblée nationale. ».

Sur le fond, il y a bien une cohérence de vision de projet. Il s’agit bien de mettre les outils de l’État (dont pôle emploi) au service du marché patronal de l’emploi, de créer, comme le dit Ferracci, « des dispositifs visant à assurer le bon fonctionnement du marché du travail en cette période de fortes tensions dans certains secteurs ».2 Peu importe s’ils sont répressifs contre les chômeurs et les chômeuses auxquel·les ils imposent des contraintes qui remettent en cause les droits fondamentaux.

Une loi de pire en pire

La commission mixte entre l’Assemblée et le Sénat a fait passer de cinq à quinze le nombre des articles, et nombre de ces rajouts aggravent le texte.

Ainsi, de nouvelles règles visent à refuser l’indemnisation de demandeurs et demandeuses d’emploi qui ne se trouveraient pas dans une situation de privation involontaire d’emploi. Par exemple, à la suite d’un abandon de poste ou parce qu’ils ou elles ont refusé à deux reprises une proposition de CDI en fin de contrat court.

Ces dispositions, qui se réclament du bon sens, ne tiennent pas compte de l’inégalité entre salarié·e et patron dans l’entreprise. Ceci sans tenir compte du principe qui fonde le droit du travail : corriger le déséquilibre entre les 2 signataires du contrat de travail.

Si un salarié ne peut plus supporter ses conditions de travail (dégradation du travail, usure, dégradation des relations avec l’employeur, harcèlements…), il a alors des motifs légitimes pour mettre fin à son contrat. C’est ce qui est, de fait, reconnu dans la procédure dite « rupture conventionnelle » qui ouvre droit à indemnisation. Mais ce départ négocié suppose l’accord de l’employeur et c’est l’acceptation de ce dernier qui la rend possible. Le ou la salarié·e peut aussi « médicaliser » la rupture, invoquer un burn-out ou une atteinte à sa santé physique. Un licenciement pour inaptitude sera alors possible, suite à l’intervention de la sécu et de la médecine du travail. Cette procédure reporte sur l’assurance maladie une partie des coûts de la rupture. Elle est aussi celle qui détruit le plus les possibilités de retour au travail. Pour les cas les plus difficiles, pour les personnes qui ne savent ou ne peuvent pas utiliser les solutions précédentes, l’abandon de poste amenait l’employeur à licencier3, ouvrant ainsi les droits à indemnités chômage. Avec les LR et les macronistes, toutes les dimensions qui rendent nécessaires la rupture sont illégitimes à partir du moment où les patrons ne sont pas d’accord. Ces élu·es ont introduit une présomption de démission qui prive de revenu de remplacement (qui est un droit). Comment un·e salarié·e pourra-t-il ou pourra-t-elle faire valoir la légitimité de son départ ? Les groupes et multinationales, et même des plus petits patrons, ont les moyens de contester les refus des CE, voire les décisions de justice en ayant recours à des cabinets d’avocats. Celles et ceux au bas de l’échelle n’ont pas les mêmes possibilités. Mais ça, les député·es, sénateurs et sénatrices de droite – enfermé·es dans leur soumission à l’idéologie patronale et libérale, ignorant·es des réalités de millions de personnes – ne le savent pas. Le caractère de classe de cette représentation parlementaire saute aux yeux !

C’est la même chose pour les refus de CDI en fin de contrat court. Là aussi, c’est le patron qui est tout-puissant. Surtout si, pour les salarié·es, l’alternative se résume à choisir entre un CDI indécent et plus de revenu du tout. En fait, celles et ceux qui vont être ainsi sanctionné·es ce sont celles et ceux qui, ne voulant pas rester dans l’inactivité, ont accepté, avant de trouver mieux, un contrat court. Ce dispositif risque de créer une trappe à emploi dégradé et, bien sûr, à clore tout débat sur l’amélioration du travail.

Augmenter la précarité

Les CDD multiremplacements, le CDI intérimaire, sont présentés comme « des alternatives à des formes d’emploi plus parcellaires, fractionnées et donc précaires. » (Ferracci). Le CDD « multiremplacement », qui permet de recruter, avec un seul contrat, une personne pour remplacer plusieurs salarié·es d’une même entreprise, peut répondre à un fractionnement des périodes de travail. C’est ce que connaissent les remplaçant·es des EHPAD avec des contrats d’un jour, 3 fois par semaine. Mais il reste un contrat précaire avec des remplaçant·es à disposition (Dans quelles conditions ? Avec quelle rémunération ? Avec quelles possibilités de changer d’emploi ?). Tout ceci tend à éviter l’organisation du travail et, peut-être même, à réduire l’emploi stable dans certains secteurs. Pourquoi pas demain, des auto-entrepreneurs sur des remplacements ? Du point de vue des salarié·es, l’emploi peut changer de celui de l’embauche. C’est la légalisation d’un statut dévalorisé « bouche-trous » ne permettant pas des acquis professionnels.

Quant aux CDI intérimaires, ils permettent à des intérimaires d’être en CDI d’une entreprise de travail temporaire, en effectuant des missions dans des entreprises utilisatrices. Jusqu’à présent, la durée maximum d’une mission ne pouvait excéder 36 mois (plus que le maximum des autres contrats précaires). Cette limitation devait éviter la pérennisation des contrats précaires et, de ce point de vue, 36 mois était déjà une période trop longue. Grâce à la commission mixte, il sera possible d’étendre au-delà de 36 mois la durée maximale de ce contrat de travail. C’est, là encore, la légalisation de la précarité sous couvert de la lutte contre l’ultra précarité. Mais c’est aussi la fragilisation des CDI et le renforcement des boites d’intérim.

On voit qu’il y a, entre le camp macronien et les LR, une convergence de fond sur le développement de la précarité. Mais cette convergence se fait aussi avec un RN qui ne combat pas la précarisation pour rester un interlocuteur crédible du Capital. Combattre la précarité, c’est s’attaquer aux inégalités croissantes dans cette société, l’enrichissement des un·es se fait sur l’appauvrissement des autres. C’est la réalité que montre la dernière période qui voit à la fois l’augmentation de la pauvreté et l’explosion des dividendes.

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Étienne Adam

14-11-2022


Notes :

1 – D’une future majorité ?

2 – C’est une véritable obsession du Capital et de ses politiques, mais c’est aussi l’indice d’un changement de rapport au travail que la gauche devrait assumer et porter.