Lucile nous a fait parvenir deux textes, lus comme à l’accoutumée lors des manifestations pour un Cessez-le-feu total et définitif qui se tiennent à Gap. Deux témoignages de ce que peut ressentir une famille palestine dont la famille survit à Gaza.

Témoignages

Par Lucile Ali, les 23 et 30 mars 2024

Ton plus proche cousin et ton meilleur ami

C’était ton plus proche cousin et ton meilleur ami.
Il a grandi dans la maison collée à la tienne et, enfants, vous partagiez vos repas.

C’est la vidéo partagée par un journaliste palestinien.

Brutale et crue, la vidéo d’un homme hurlant de rage et de désespoir au milieu d’une foule compacte, ne pouvant se résoudre, devant la dépouille de son enfant de 20 ans, le secouant en lui hurlant dessus de se réveiller, essayant de se dégager des gens autour qui le soutiennent.

Des vidéos comme on en a vu des milliers.

Sauf que celle-là, c’est celle de ton plus proche cousin et de ton meilleur ami, avec qui tu avais partagé des rêves et fait des projets et qui, la veille encore, te laissait un message, un message touchant qui te disait « que ceux qui restent en vie pourront revoir leurs amis ».

Son fils a été visé par un drone alors que son ami blessé l’avait appelé à l’aide et qu’il se dirigeait vers lui, c’était un beau jeune souriant et rayonnant, plein d’avenir, tué injustement.

Leur famille s’était réfugiée dans une zone du sud, censée être en sécurité…

Quant à ceux qui sont au nord, dans la ville de Gaza, leurs appels ne sont plus supportables.

Ce ne sont pas des conversations, Tarek, nous n’entendons que tes cris de supplication et d’appel à l’aide, « mon frère, sors-nous de là ! », « La petite est devenue un squelette ».
Et ces mots sont encore plus horribles quand c’est Yamen ton fils de 13 ans qui est au bout du téléphone et qu’il supplie « mon oncle, sors-nous de la mort ! », « Sauve-nous, on va mourir ! »

Bien sûr qu’on fera tout ce qu’on peut pour vous sortir de là, sauf que, pour l’instant, on ne peut pas.

Bien sûr que si vous arrivez à atteindre le sud, vous serez notre priorité.

Bien sûr que je rêve d’aller t’attendre Tarek de l’autre côté de la porte de Rafah, et que je rêve de prendre ta petite fille dans mes bras.

Bien sûr que ce n’est pas un choix, c’est une question de vie ou de mort.

Mais il faudrait d’abord que vous arriviez à y descendre, passant encore tant de dangers, vous qui cette semaine êtes restés serrés les uns contre les autres dans une chambre, mourants de faim et terrorisés.

Alors que les bombardements sont tout autour de vous.
Alors qu’il y a la terrible attaque de l’hôpital al Shifa, à quelques centaines de mètres de l’appartement dans lequel vous êtes réfugiés.

Voilà, c’était notre témoignage, en tant que famille de palestiniens de Gaza, vous partageant les nouvelles qui nous arrivent, par ce minuscule hublot taché de sang et de larmes, de ce massacre à huis clos.

Gaza 2023 "Cessez-le-feu" © Zazie Lavraie
Gaza 2023 "Gaza must live" © Lukaza Branfman-Verissimo
Sarah avait 6 ans…

Sarah avait 6 ans et Abdelatif 4 ans.

Ils font partie des 7 enfants qui ont perdu la vie dans le bombardement de la maison juste à côté de celle ou est réfugiée une grande partie de notre famille à Deir El Balah.

Car chaque jour, les bombardements continuent sur tout le territoire.

En plus de tout le reste, de la famine imposée, des accès à l’eau et aux hôpitaux bloqués, du désespoir total, des exactions sans nom de l’armée, les bombardements continuent. Ils déciment des familles entières en quelques fractions de secondes, chaque jour, chaque nuit, chaque heure.

Dimanche dernier, c’était juste le tour de la maison à côté de vous d’être bombardée. En un grand fracas qui vous a d’abord fait penser que c’était vous qui alliez y passer, qui a fait trembler vos murs et s’envoler vos fenêtres, sans que n’ayez le temps de réaliser.

À la tombée de la nuit, dimanche dernier, la maison d’à côté, remplie aussi de gens, d’une famille comme vous avec des déplacés, ce lieu de vie est devenu un cratère et un tas de morceaux de béton entassés. Dans ce bombardement, 16 personnes d’une même famille ont perdu la vie. Dont sept enfants. Dont Sarah 6 ans et Abdelatif 4 ans.

Mais que vaut vraiment la vie d’un enfant palestinien ?

C’est malheureusement quotidien et continu, les explosions de maisons remplies de civils et d’enfants. Combien de centaines d’ailleurs, depuis dimanche dernier ont depuis perdu la vie, ou pire encore, sont gravement blessés, brûlés, amputés ?

Oui, ce sont des enfants, mais que vaut vraiment la vie d’un enfant palestinien ?

Voici quelques mots du témoignage d’un médecin humanitaire revenu de Gaza : « Il y avait cet enfant avec des blessures tellement profondes que les os de son visage étaient visibles ; nous savions qu’il n’avait aucune chance de survivre et nous n’avions pas de morphine pour lui. Non seulement il allait mourir de ses blessures, mais dans une agonie. Et ce qui est pire dans ce drame, c’est que nous ne pouvions rien faire d’autre que le laisser ainsi au sol dans son agonie, jusqu’à ce qu’il décède. »

Oui, je pose la question au monde, qui tergiverse, qui se tait, qui détourne le regard, qui justifie :  que vaut vraiment pour vous la vie d’un enfant palestinien ?

En 5 mois et demi, plus de 13 000 enfants palestiniens ont été tués. C’est plus qu’en plus de quatre ans dans l’ensemble des conflits mondiaux cumulés.